Emmanuel Macron réunit Vladimir Poutine, Volodymyr Zelenskiy et Angela Merkel à l’Élysée ce lundi 9 décembre. Un sommet pour relancer le processus de paix dans l’est de l’Ukraine, où la guerre a déjà fait 13 300 morts. C’est la première réunion sous ce format dit « de Normandie », depuis 2016.
C’est sur lui que la plupart des regards seront rivés ce lundi à l’Élysée : Volodymyr Zelenskiy, un ancien acteur sans expérience politique devenu président de l’Ukraine en mai. Élu, entre autres, sur la promesse de mettre fin à la guerre dans le Donbass, il s’apprête à rencontrer pour la première fois Vladimir Poutine, qui l’a récemment dépeint comme « sincère » et « sympathique ».
Les deux dirigeants, s’ils ne se sont jusque-là jamais vus, ont eu plusieurs fois l’occasion d’échanger au téléphone. Entre Moscou et Kiev, quelques signes de détente sont apparus ces derniers mois. Début septembre, les deux pays ont procédé à un important échange de prisonniers, parmi lesquels la figure très symbolique du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov.
Le mois dernier, dans le Donbass, les belligérants ont achevé le retrait de leurs troupes de trois secteurs clés de la ligne de front. Enfin, il y a trois semaines, la Russie a rendu à l’Ukraine trois navires militaires saisis un an plus tôt au large de la Crimée. Un geste qui, selon Emmanuel Macron, « contribue à renforcer la confiance ».
Pour Tatiana Kastouéva-Jean, spécialiste des politiques intérieure et étrangère russes, directrice du Centre Russie/Nouveaux États indépendants (NEI) de l’Institut français des relations internationales (Ifri), ce climat de relative détente est aussi « à relier au contexte des ouvertures du président Macron à l’égard de la Russie. Cette dernière cherche à répondre en faisant quelques pas en avant ».
Au-delà de leur valeur symbolique, ces gestes permettent aussi au président ukrainien « d’afficher en interne ses propres succès », estime la chercheuse. Du côté de l’Élysée, on insiste sur le réengagement franco-allemand dans ce dossier et sur « l’engagement tout particulier du président Zelenskiy à tendre la main, à se faire entendre des populations du Donbass ».
« Première victoire »
Très demandeur d’une telle réunion avec ses homologues français, allemand et russe, Volodymyr Zelenskiy, qui a bâti toute sa campagne sur la promesse d’en finir avec la guerre, estime que le seul fait qu’elle puisse se tenir est déjà en soi une « première victoire ». Reste à savoir si ce nouveau rendez-vous diplomatique permettra de déboucher sur des avancées concrètes.
Oleksiy Haran, professeur à l’Université de Kyiv-Mohyla, rappelle qu’en parallèle au désengagement en trois points de la ligne de front, qualifié par l’Élysée « d’avancée majeure sur le terrain », les armes continuent de tuer dans le Donbass, même si le degré de violence a nettement baissé. « Volodymyr Zelenskiy veut sincèrement obtenir la paix », explique-t-il.
« Mais dans la mesure où il manque d’expérience, il a une approche assez naïve, poursuit Oleksiy Haran. Il se dit qu’il va s’asseoir autour d’une table avec les autres parties et se mettre d’accord. Il vient du monde des affaires, il a une expérience commerciale des pourparlers, mais les relations internationales et les questions de sécurité, ce sont des choses complètement différentes. »
Accords de Minsk
« La rhétorique du Kremlin est évasive », estime pour sa part Olena Snihyr, experte en politique étrangère de l’Institut national des études stratégiques à Kiev. « Le président Zelenskiy l’a dit publiquement : nous ne savons pas si le Kremlin veut réellement mettre fin à cette guerre. »
Pour Konstantin Kalatchev, directeur du Groupe d’expertise politique à Moscou, cité par l’AFP, « M. Poutine n’a pas intérêt à ce que ce conflit s’aggrave, mais il souhaite que tout règlement se fasse selon ses conditions à lui ». D’autant que ce conflit commence à avoir un coût pour la Russie, qui tient les républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk sous perfusion.
« La position de la Russie est extrêmement claire et immuable », affirme pour sa part Tatiana Kastouéva-Jean. Il s’agit de « remplir les accords de Minsk à la lettre ». Le mois dernier, lors de l’annonce de la tenue de la réunion de lundi à l’Élysée, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères avait d’ailleurs dit espérer que Paris ferait « son maximum pour lever toute ambiguïté et pour que le sommet confirme l’intangibilité et l’absence d’alternative à l’application des accords de Minsk », conclus en février 2015.
Les Ukrainiens, à l’inverse, « savent que les accords de Minsk ne sont pas en leur faveur. Ils cherchent à les interpréter d’une manière différente et ne sont pas d’accord avec l’ordre d’exécution des divers points du texte », analyse Tatiana Kastouéva-Jean.
Élu en avril, Volodymyr Zelenskiy a dès le début affiché sa volonté de dialoguer avec Moscou. Mais « si le changement de pouvoir à Kiev est perçu par le Kremlin comme une opportunité, ses attentes vis-à-vis de la présidence de Volodymyr Zelensky entrent en conflit avec ses lignes rouges », prévient Ioulia Shukan, maître de conférence en études slaves à l’Université de Paris-Nanterre et chercheuse à l’Institut des sciences sociales du politique.
Élections locales
Les accords de paix en treize points prévoient, outre un cessez-le-feu, un retrait des armes lourdes et des combattants étrangers, des élections sur l’ensemble du territoire du Donbass, suite à quoi Kiev pourra recouvrer le contrôle de ses frontières de l’est avec la Russie. Mais pour l’Ukraine, le préalable à un scrutin est le contrôle de ses frontières, le désarmement des rebelles et le départ des Russes les soutenant.
« La partie ukrainienne, poursuit Tatiana Kastouéva-Jean, insiste sur les questions sécuritaires et estime que les élections ne peuvent pas être organisées dans un territoire qui est contrôlé par les mercenaires russes sans avoir le contrôle de la frontière russo-ukrainienne, sans être sûr que les médias ukrainiens et les forces politiques ukrainiennes pourront participer aux élections dans cette région. C’est sur cette question-là que les discussions risquent de buter. »
Cette demande, soulevée par le président Zelenskiy dans un entretien accordé à plusieurs journaux européens en amont de cette rencontre, sera sans doute évoquée à l’Élysée. « Elle a sa légitimité et sa pertinence », souligne-t-on à Paris, tout en insistant sur le fait que les accords de Minsk sont très clairs sur ce point.
Autre inquiétude à Kiev : les dirigeants russe et ukrainien pourraient se voir en tête à tête pour la première fois. « Notre président n’a pas d’expérience et ça n’est même pas un homme politique », s’inquiète Olena Snihyr, qui espère que le président ukrainien ne se « fera pas berner » et ne consentira pas des concessions trop importantes.
Des ambitions ukrainiennes revues à la baisse ?
Tatiana Kastouéva-Jean note aussi qu’il y a « un déséquilibre, une asymétrie entre les deux dirigeants, entre leur expérience politique, leur capacité à faire pression l’un sur l’autre ». Mais il y a aussi, d’après l’experte « un garde-fou » pour Volodymyr Zelenskiy, « c’est son opinion publique ».
Car si les Ukrainiens veulent en finir avec la guerre, ils ne sont pas prêts à en payer n’importe quel prix, prévient Oleksiy Haran, par ailleurs directeur de recherche à la Democratic Initiatives Foundation, qui a mené des enquêtes sur la question. « Quand on demande, par exemple, aux Ukrainiens s’ils sont d’accord avec une amnistie totale des combattants, les Ukrainiens répondent : « Non », alors même que ce point figure dans les accords de Minsk ».
Volodymyr Zelenskiy devra sans doute tenir compte des lignes rouges de son opinion publique, prompte à sortir dans la rue pour protester, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises ces dernières semaines pour dénoncer la politique du président, vécue par certains comme une « capitulation ».
Oleksiy Haran redoute, lui aussi, que Volodymyr Zelenskiy ne soit contraint de revoir ses ambitions à la baisse. « Publiquement, il dit que les élections dans ces territoires ne pourront avoir lieu que quand la sécurité y sera garantie, quand les milices illégales seront parties, et c’est justement ce que veut l’opposition, les experts, l’opinion publique. Mais la question est de savoir ce qui se passera à Paris. C’est la vraie question. »