Vaccins anti-Covid : Pékin et Moscou étendent leur influence

Vaccins anti-Covid : Pékin et Moscou étendent leur influence
FILE - In this Sept. 15, 2020, file photo, a Russian medical worker administers a shot of Russia's experimental Sputnik V coronavirus vaccine in Moscow, Russia. The World Bank has approved $12 billion in financing to help developing countries buy and distribute coronavirus vaccines, tests, and treatments, aiming to support the vaccination of up to 1 billion people, the bank said in a statement late Tuesday, Oct. 13. (AP Photo/Alexander Zemlianichenko Jr, File)

Après la diplomatie des masques, celle des vaccins. Les États-Unis de Donald Trump absents pendant cette crise mondiale, ce sont Pékin et Moscou qui gagnent de l’influence partout sur la planète.

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Le vaccin russe au développement si critiqué pour sa précipitation et pour son absence de transparence est une réussite. Le Spoutnik V est efficace à 91,6 % contre les formes symptomatiques du Covid-19, selon des résultats de la phase finale de son essai clinique publiés mardi dans la revue médicale internationale The Lancet. Voilà qui place ce vaccin dans la catégorie des plus protecteurs. On voit mal aujourd’hui ce qui empêcherait son homologation par l’Agence européenne des médicaments.

Précédant un avis positif, Angela Merkel a d’ailleurs d’ores et déjà déclaré : « Tout vaccin approuvé par cette autorité serait bienvenu en Allemagne (…), j’ai parlé précisément de ce point avec le président russe ». La chancelière qui a aussi offert une aide allemande pour une éventuelle production commune.

Succès médical, mais aussi succès économique en vue : ce vaccin pourrait rapporter d’après les premières estimations 25 milliards d’euros à la Russie. Succès politique tout personnel aussi pour Vladimir Poutine qui s’était tout particulièrement engagé dans la promotion du Spoutnik V.

Se faisant en quelque sorte son VRP à la télévision nationale, le président russe avait ainsi affirmé : « ce vaccin fonctionne avec précision, en formant des anticorps et une immunité cellulaire stable. Je le sais très bien, car une de mes filles s’est fait inoculer ce vaccin. Je pense qu’en ce sens elle a participé à l’expérience ».

Livraison en Hongrie
Sans attendre le feu vert européen, 40 000 premières doses du Spoutnik V sont arrivées mardi en Hongrie, faisant du pays le premier de l’Union européenne à l’avoir autorisé. Et cela, même si le Premier ministre Viktor Orban, tout comme le président turc Recep Tayip Erdogan, affirme que quand son tour viendra, il se vaccinera sans doute avec le produit chinois.

« Il y en a qui font confiance au vaccin russe, a-t-il expliqué, car ils ont reçu des vaccins soviétiques, il y en a qui, quand on leur parle de vaccins, réfléchissent en des termes idéologiques, et il leur faut l’Ouest et non l’Est… Moi je pense que les Chinois ont connu le virus le plus longtemps (…). Donc, j’attends mon tour, et si c’est possible de choisir, je demanderai le vaccin chinois ».

Ailleurs dans le monde le Spoutnik V ne devrait plus tarder à être distribué au-delà de la zone traditionnelle d’influence de Moscou, jusqu’en Inde, au Brésil, en Afrique du Sud. L’Argentine cherche même à le produire sur son sol. Il faut dire que le vaccin russe, tout comme le vaccin chinois d’ailleurs, a aussi pour lui des arguments techniques face notamment à Pfizer.

Anne Sénéquier, médecin chercheuse et co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale, précise : « les vaccins à ARN, les premiers qu’on a eu dans le monde occidental, n’avaient pas le profil idéal pour une vaccination de masse. Ils sont très chers et ont une logistique très compliquée, donc si on avait pu choisir quelque chose de plus simple avec une conservation au réfrigérateur et des prix plus attractifs, bien sûr qu’on aurait commencé avec ceux-là ».

L’avance de la Chine

Là-dessus la Chine a pris une longueur d’avance sur tout le monde. Depuis ce qu’on a appelé au printemps dernier déjà « la diplomatie du masque», Pékin a fait avec constance du domaine de la santé un élément à part entière de sa diplomatie.

« Il y a effectivement des routes de la soie sanitaires, explique Pascal Boniface, directeur de l’Iris et auteur de l’ouvrage Géopolitique du Covid 19 aux éditions Eyrolles. Les pays ne regardent pas la couleur politique du pays qui propose un vaccin, ils regardent l’efficacité et la disponibilité du vaccin. Comme la Chine a produit en masse, ils ont pris une très grande avance. La crise est partie de chez eux, mais aujourd’hui c’est eux qui en recueillent les principaux bénéfices, le monde est en crise et eux sont encore en période de croissance économique, et effectivement ils étendent leur influence par le biais d’aides sanitaires et désormais par le biais de fournitures de vaccins ».

La Chine qui fait aussi miroiter aux yeux de l’Égypte et du Maroc la possibilité d’implantation d’usines de production de vaccins. Au total, la démonstration de force de Pékin et de Moscou signe, aux yeux de Pascal Boniface, une nouvelle perte d’influence de l’Occident. « Effectivement, l’absence des États-Unis dans cette crise a été cruellement ressentie, mais c’est aussi le jeu des évolutions technologiques et économiques. Les Occidentaux ont perdu le monopole de la puissance qu’ils ont eue pendant presque cinq siècles, et sur le plan vaccinal, comme sur d’autres plans, il faut laisser de la place aux autres. D’ailleurs ils s’invitent d’eux-mêmes à la table des grands ! »

Au Moyen-Orient en tout cas, la compétition est toujours en cours : Israël a un partenariat très poussé avec Pfizer. Comme l’État hébreu, le Qatar, le Koweït, l’Arabie saoudite et Oman ont tout misé sur le vaccin américano-européen. D’autres ont joué sur plusieurs tableaux en commandant aussi auprès du chinois Sinopharm : l’Irak, la Jordanie, les Émirats Arabes unis et Bahreïn.