“YAAMATELE’’, LE NOUVEL ALBUM DE DAARA J FAMILY QUI INTERROGE LE MONDE

Le groupe de rap sénégalais Daara J Family vient de sortir “Yaamalele”, un nouvel album militant, anticapitaliste et pro-écologie dont les messages sur la déshumanisation du monde interroge sur l’avenir de la planète pour mieux amener tout le monde à faire face à ses responsabilités, les puissants notamment interpellés sur leur gouvernance.

“Yaamatele, c’est un personnage comique d’un dessin animé des années 1980, Onze pour une coupe : un robot, avec une grosse télé à la place du ventre. Depuis, dans le jargon de rues, au Sénégal, on utilise son nom pour désigner les personnes droguées à leurs écrans – télés, ordinateurs, téléphones portables. Notre titre-parabole dénonce cette addiction”, explique Ndongo D, un des deux rappeurs de ce groupe, dans un entretien publié sur le site rfimusique.

“Aujourd’hui, tout est tellement digitalisé qu’on en perd notre humanité. Parfois, dans une maison, un membre de la famille regarde la télé dans la chambre, l’autre dans le salon…Et pour communiquer, ils s’envoient des SMS ! Les gens passent tant de temps agglutinés à leurs écrans, qu’ils en oublient de vivre !”, ajoute Faada Freddy, qui pointe le risque de “devenir insensible à tout !” .

Ndongo D renchérit : “Même les grands-pères, dans les villages les plus reculés, possèdent ces outils numériques. Désormais, ce ne sont plus les politiciens qui gouvernent le monde, mais Facebook ou WhatsApp. D’ailleurs, les réseaux sociaux s’imposent comme des armes politiques puissantes, dont se sont servi Trump ou Bolsonaro pour arriver au pouvoir”.

Le propos n’est pas de “demander aux jeunes d’abandonner leurs smartphones, mais d’adopter un recul critique face aux contenus”, selon Ndongo D.

“Auparavant, tout le monde se réunissait autour de lui et de l’odeur d’un thé brûlant, pour s’offrir des moments de discussion, des temps d’échange et de partage, reprend Faada Freddy, un brin nostalgique. Sur la pochette, dans des lueurs crépusculaires, on voit désormais ces gens obnubilés par leurs écrans. Sur les branches de l’arbre, pendent des smartphones, tels des parasites ! En Afrique, on est même en train de perdre notre culture de l’oralité. Avant, un griot entraînait sa mémoire à garder l’art de la parole… Aujourd’hui, il cherche ses références sur Internet”.

De même, le duo se dit préoccupé “profondément (…)” par l’avenir de la planète, comme le souligne Ndongo D. “Déjà, en 2012, on avait sorti ce titre, Niit (qui signifie “observer de près avec une torche”) et nous avions tourné le clip dans la plus grosse décharge de Dakar”.

“Au Sénégal, observe-t-il, il commence à y avoir une fragile prise de conscience. Quelques hommes politiques – un ou deux sur dix –, dont le ministre de l’Hygiène Publique, tâtonnent pour trouver des solutions écologiques”, en plus d’autres initiatives, “des mouvements comme Sénégal Ney Set (“Que le Sénégal soit propre”) avec lequel nous collaborons”.

“Au fil de nos voyages, nous croisons des gens qui partagent les mêmes angoisses, sur la déforestation et la pollution. Ainsi, j’ai pu échanger avec le Brésilien Almir Surui, le chef de la tribu Paiter Surui, en Amazonie. Les autochtones sont menacés de mort parce qu’ils protègent la forêt ; ils sont bousculés par les gros industriels qui veulent les faire disparaître. En Afrique, je citerais l’exemple de Kigali, qui interdit le plastique sur son sol : une des solutions vers une planète plus saine”, note Faada Freddy.

Depuis vingt ans et leurs débuts, “ce qui a changé et s’est empiré, c’est cette maladie qui ronge le monde : la globalisation et le capitalisme mondial. Aujourd’hui, la valeur d’un être humain se mesure à son compte en banque. Son bonheur, à son sourire posté sur Instagram. Nous sommes aussi dans une ère de l’ultra-communication, qui peut friser le mensonge”, indique Faada Freddy.

“Même pour faire la guerre, on use de la communication. Nous, en tant que colibri, nous faisons notre part. Et en tant que rappeurs, nous tâchons de réinvestir une parole digne de sens”, poursuit le rappeur.

Ndongo estime qu’au niveau culturel, “la situation évolue positivement” au Sénégal. “Il y a par exemple la Biennale des Arts…Beaucoup d’artistes continuent de repousser les limites. Mais là où ça coince, c’est au niveau des politiques, au service du capitalisme… Ca gâche tout ! Tu fais des beaux châteaux de cartes, et ils s’écroulent instantanément. Dans un titre comme Jotna, par exemple, on parle de la mainmise sur les économies en Afrique”.

Selon Faada Freddy, de tels messages s’adressent aux dirigeants, pour leur dire : “Avant de signer un accord, on leur dit : +prenez le temps de réfléchir. Ne voyez pas uniquement vos intérêts, vos amitiés personnelles. Pour protéger un lobby, vous sacrifiez toute une génération sur 50 ou 70 ans. Réfléchissez !+”.

Il y a aussi dit-il le discours à l’endroit des jeunes, “tous ces jeunes Africains qui cherchent l’Eldorado en Europe, au péril de leur vie. Comme le dit l’écrivaine Fatou Diome, ils se jettent dans le “ventre de l’Atlantique” en emportant leurs rêves. A ces voyageurs du désespoir, je dis : “Vous partez chercher le diamant, mais vous oubliez que vous êtes assis dessus”.

Pour cet album composé entre Kinshasa, Paris et Dakar, le duo dit être sorti de sa zone de confort en s’inspirant notamment de la rumba.

“On a effectué un travail de recherche : comment faire pour que nos musiques parlent aux nouvelles générations, sans tomber dans la copie de la tendance, par nature éphémère ?”, dit Ndongo D.

“En gros, résume Faada Freddy, on a forgé une musique équilibrée, qui garde ses racines. Je convoque souvent la métaphore de l’arbre : quand les “temps” viennent, les feuilles changent, mais les racines demeurent toujours, qu’importent les saisons ! Et puis, même si on travaille énormément sur nos lyrics et la musique, on essaie aussi de se laisser porter par la vibe, de ne pas tout contrôler, pour recevoir la magie de l’univers”.

APS