La Chambre basse a adopté mardi soir la loi qui consacre la fin de l’autonomie du Cachemire et la création d’une nouvelle région administrée directement par New Delhi. Cette réforme majeure a été adoptée en deux jours seulement et sans consulter les Cachemiris. Et le procédé utilisé est considéré comme illégal par l’opposition et les politiciens du Cachemire. Cela entame la confiance difficilement établie entre New Delhi et cette région séparatiste, où un manifestant est décédé ce mercredi 7 août.

Avec notre correspondant à New Delhi, Sébastien Farcis

Le gouvernement a abrogé l’autonomie du Cachemire par décret présidentiel, une méthode très controversée. Car selon la loi, ce statut, accordé à la région en 1947 ne peut être révoqué qu’avec l’accord de l’Assemblée du Cachemire. Mais comme le Parlement régional a été récemment dissous, New Delhi considère qu’il peut décider du sort des Cachemiris de manière unilatérale. Cette méthode brutale devrait entamer le peu de confiance que les Cachemiris gardaient envers New Delhi, comme l’explique Omair Ahmad, chercheur sur l’islam indien.

« Le gouvernement a envoyé un message aux Cachemiriens : je suis  prêt à violer la loi et la Constitution. Et quoique vous en pensiez, nous ne vous laisserons même pas vous exprimer. Cela est un message extrêmement douloureux. Cela détruit tout le travail de dialogue mené depuis des décennies par les modérés. Et offre une propagande parfaite pour les extrémistes qui diront : voyez, vous ne serez jamais considérés comme des citoyens ordinaires. Le respect de vos droits dépendra du bon vouloir de New Delhi.

L’abrogation de l’article 370, qui garantissait l’autonomie exceptionnelle du Cachemire, était l’une des plus anciennes promesses de campagne du parti nationaliste hindou du BJP. Mais aussi l’une des plus compliquées à réaliser, autant à cause des difficultés légales que du caractère explosif de cette réforme. Car les Cachemiriens étaient farouchement opposés à un tel rattachement à New Delhi. Malgré ces risques, le Premier ministre Modi est passé en force, en réalisant ce qui ressemble à une opération à coeur ouvert.

Il s’appuie pour cela sur sa grande popularité, renforcée après sa réélection en mai dernier. Il bénéficie aussi d’une opposition décimée et divisée. Pour son parti et au-delà pour énormement d’Indiens qui sont grandement attachés au Cachemire, Narendra Modi est maintenant considéré comme un héros qui asseoit pour toujours la souveraineté de l’inde sur cette région rebelle.

La légalité de cette réforme contestée

Pour beaucoup de juristes, l’utilisation d’un décret présidentiel pour changer le mode de gouvernement d’un État fédéré est une aberration. Le gouvernement n’a même pas daigné consulter les autorités ou le peuple du Cachemire et bafoue ainsi le principe fondamental du droit à l’autodétermination d’une population. Un peuple qui réclame en plus, depuis des décennies, un plébiscite d’indépendance. Un recours vient déjà d’être déposé devant la Cour suprême pour annuler cette réforme, et on peut s’attendre à une longue et cruciale bataille législative pendant les années à venir.

Cachemire: «Le Pakistan peut répliquer avec une sorte de neutralité américaine»

Environ 40 000 civils et militaires sont morts en 30 ans d’insurrection séparatiste au Cachemire. Dernièrement, les groupes armés locaux ont établi des liens plus étroits avec les organisations internationales comme al-Qaïda et l’État islamique.

L’élite locale décapitée

Au Cachemire, les principaux dirigeants locaux ont été arrêtés dès lundi. L’un d’entre eux a réussi à parler aux médias et exprime sa colère. C’est l’un des piliers de la politique du Cachemire : Farooq Abdullah, 80 ans, a été plusieurs fois chef du gouvernement régional puis ministre fédéral et aujourd’hui député de la Chambre basse. Il est donc l’un des modérés qui acceptent la souveraineté de l’Inde sur le Cachemire.

Malgré cela, New Delhi l’a placé en détention dès lundi matin, certainement pour l’empêcher de s’exprimer sur cette réforme controversée, particulièrement au Parlement qui devait adopter ces changements. Mardi midi, il a réussi à briser une porte pour sortir sur le balcon et s’exprimer face aux médias, furieux et ému. Le ministre de l’Intérieur a ensuite nié avoir restreint les mouvements de Farooq Abdullah.

« Ceci est totalement antidémocratique, a-t-il dit. Nous ne sommes pas des jeteurs de pierres ou des lanceurs de grenades. Nous croyons en la résolution pacifique des choses. Mais eux veulent nous assassiner. Alors, allez-y, voici ma poitrine. Tirez ici, mais pas dans mon dos. Car je me suis battu pour cette nation. »

Toutes les grandes figures de la politique du Cachemire ont subi le même sort. Un signe que les nationalistes hindous au pouvoir veulent faire plier toute dissidence. Et que le gouvernement est prêt à tout pour forcer les Cachemiris à accepter la souveraineté de l’Inde sur cette région disputée.

rFI