5 anciens dignitaires libyens détenus placés en résidence surveillée

Plusieurs dignitaires libyens témoins dans l’affaire de présumé financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, ne sont plus en prison. Selon nos informations exclusives, alors qu’ils étaient détenus pendant plusieurs années dans la prison d’al-Hadaba, ils sont désormais en résidence surveillée à Tripoli. Le sort actuel de ces hauts responsables du régime de Mouammar Kadhafi laisse présager un changement semblable à celui qu’a vécu Saif al-Islam Kadhafi, avant sa libération.

Selon nos sources, il s’agit de cinq hauts dignitaires de l’ancien régime libyen : Abdallah al-Senoussi, Abou Zaid Dourda, tous deux chefs des renseignements extérieurs de l’ancien régime, Abdallah Mansour, ancien chef des renseignements intérieurs, Al Baghdadi al-Mahmoudi, ancien Premier ministre et Saadi, troisième fils du colonel Kadhafi.

Ils sont regroupés depuis fin mai dernier dans un lieu tenu secret. Une villa sous haute surveillance, où leurs conditions de vie ont totalement changé. Dans la prison d’al-Hadaba où ils sont restés plusieurs années, ils ont été torturés et privés de promenades. Nos sources assurent qu’aujourd’hui « tout est meilleur, le traitement, la nourriture, des télévisions… » Ils ont même des installations médicales.

Cependant, leurs familles et leurs avocats sont inquiets car ils sont sans nouvelles. Ni le procureur général de Tripoli ni le ministère de la Justice ne répondent à leurs demandes. Ils remplissent systématiquement les formulaires pour visiter les détenus, mais sans succès. Le procureur général de Tripoli dit ne pas savoir le lieu de détention depuis l’attaque de la prison al-Hadaba le 26 mai 2017.

Les autorités disent ignorer le lieu de détention

Depuis plusieurs mois, al-Onoud, fille d’Abdallah al-Senoussi, chef du renseignement du colonel Kadhafi, demande au procureur général de Tripoli de voir son père. Les tribus du sud, d’où est originaire al-Senoussi, demandent également des explications au gouvernement sans jamais les obtenir. « Le procureur général de Tripoli nous a informés qu’il ne connaissait pas le lieu de détention de mon père » déclare la fille al-Senoussi à la presse locale.

A Tripoli, personne ne l’annonce, personne ne l’avoue, ni le procureur général ni le ministère de la Justice. Tous les responsables esquivent ou se réfugient derrière le silence.

Dans la prison d’al-Hadaba, qui était en même temps une base du Groupe combattant, un groupe extrémiste islamiste lié à al-Qaïda, mais fidèle au gouvernement, il y avait 174 détenus, tous d’anciens responsables ainsi que des militaires de l’ancien régime. Mis à part les cinq hauts responsables cités plus haut, les détenus ont été transférés en la prison d’Ain Zara-B, en banlieue de Tripoli. Leurs conditions de détention se sont également améliorées. Ils ont même accès à internet.

La prison d’al-Hadaba, où des détenus sont passés aux aveux après avoir été torturés et parfois violés, est maintenant définitivement fermée. Plusieurs personnes y ont trouvé la mort sous la torture.

Guerre de survie entre groupes armés à Tripoli

Depuis 2011, la prison al-Hadaba était dirigée et gérée par le Groupe combattant. Le chef de cette milice n’est autre que le chef du conseil militaire de Tripoli qui a pris le pouvoir suite au soulèvement de 2011; il s’agit d’Abdel Hakim Belhaj, l’homme du Qatar à Tripoli, un ancien d’Afghanistan détenu sous Kadhafi.

Avant de fuir en Turquie en 2017, Khaled al-Sharif, le responsable des munitions de cette milice, dirigeait la prison al-Hadaba où des dizaines d’officiers et des responsables de l’ancien régime libyen ont été transférés depuis fin 2011. Lors de l’attaque en mai dernier, 11 personnes ont été tuées.

Le 26 mai dernier, cette prison a été attaquée par une autre milice dirigée par Haitham Tajouri. Cet ancien officier de la police libyenne est devenu un émir de guerre à Tripoli. Il est aujourd’hui à la tête de neuf groupes armés réunis sous le nom des « révolutionnaires de Tripoli ». Bien qu’il n’ait pas de références idéologiques précises « il roule pour le compte de celui qui le paye le plus », racontent certains des observateurs dans la capitale libyenne.

Haitham al-Tajouri est responsable de plusieurs opérations d’enlèvements, y compris des ministres. Il a attaqué et occupé plusieurs ministères depuis 2016. Pourtant, il se réclame fidèle au gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez al-Sarraj. Il dit être sous les ordres du ministère de la Défense, mais il souhaite voir les milices de Misrata chassées de la Tripoli.

Tripoli sous le règne des milices et des influences étrangères

Haitham al-Tajouri est donc devenu l’émir de guerre le plus puissant de la capitale libyenne. Les anciens dignitaires du régime de Kadhafi, n’ont jamais vraiment été sous l’autorité de l’Etat, mais passent aux mains d’une milice à l’autre. Ils sont donc aux mains de Haitahm al-Tajouri, preuve de plus sur la faiblesse du gouvernement qui se soumet au règne des milices.

Ce qui peut paraître plus étonnant encore, c’est qu’en avril dernier le procureur général ait nommé Haitham al-Tajouri comme dirigeant de la prison Ain Zara en banlieue de Tripoli. Curieusement, c’est vers cette prison que les détenus d’al-Hadaba ont été transférés fin mai dernier.

Selon plusieurs experts libyens, le Groupe combattant a été sacrifié dans l’intérêt de la nouvelle milice dominante à Tripoli. Pour ces experts, les choses ont commencé à changer pour ce groupe (al-Moqatila en arabe) en juin 2017, en pleine période de crise entre le Qatar et ses voisins du Golfe. L’ingérence de Doha en Libye est dénoncée. Ce pays est accusé de soutenir et financer les milices islamistes. Cette crise du Golfe a créé une autre réalité sur le terrain libyen : les alliés du Qatar se trouvent affaiblis.

Toujours selon ces experts, l’implication du Groupe combattant et des milices de Misrata dans l’attentat de Manchester en Angleterre en 2017 a accentué la pression étrangère sur le gouvernement pour qu’il limite l’action de ce groupe.

Dans le paysage politique libyen chaotique et versatile, chaque groupe armé défend jusqu’à l’extrême son intérêt et son pouvoir. Si l’étau se resserre autour des extrémistes islamistes, d’autres groupes prennent le dessus. A l’heure où les anciens responsables du régime sont considérés par certains comme des détenus politiques, le détenir s’avère être pour les milices une marque de puissance, une carte gagnante à jouer à l’avenir. En traitant avec plus d’égard les hauts dignitaires libyens détenus, Haitham al-Tajouri qui a besoin de redorer son image aura plus de chance de s’en sortir.

Le scénario Saif al-Islam se répète avec les dignitaires de l’ancien régime

Ces cinq hauts dignitaires de l’ancien régime libyen qui sont transférés de la prison en résidence surveillée, seront-ils bientôt libérés, comme c’était le cas avec Saif al-Islam Kadhafi l’année dernière ? Le scénario de la libération de Saif al-Islam serait-il en train de se répéter pour ces anciens responsables, dont l’un des fils du Guide ?

Avant d’être libéré en 2017, comme l’avait révélé RFI, Saif al-Islam Kadhafi fut placé pendant des mois dans une résidence surveillée. Il avait ensuite bénéficié de l’amnistie générale décrétée par le Parlement de Tobrouk situé à l’est du pays en 2015.

Le placement en résidence surveillée de ces cinq dignitaires libyens, ressemble en tout au cas de Saif al-Islam. Après tout, ces dignitaires pourront eux aussi bénéficier de l’amnistie générale, même si la question divise toujours la classe politique libyenne.

En tout cas, sept ans après la chute du régime libyen, au moment où le pays se prépare à des élections générales attendues cette année et auxquelles Saif al-Islam a annoncé sa candidature, les tractations politiques s’intensifient et des changements se font en toute discrétion. Les partis changent d’alliances pour mieux se redéployer sur l’échiquier politique du pays. La réconciliation et la pacification sont plus que jamais à l’ordre du jour.

 

RFI