Les sujets de la reine vont bien au-delà du Royaume-Uni. Les dirigeants des nations du Commonwealth du monde entier ont également salué la dignité de la reine Elizabeth II. La souveraine a traversé l’histoire, et avec eux leur histoire.
Après son accession au trône en 1952, la reine a pris la tête du Commonwealth, un groupe d’anciens territoires de l’Empire britannique qui s’étend sur six continents. Bon nombre des 56 pays membres du bloc ont obtenu leur indépendance sous son règne, alors que les mouvements de décolonisation gagnaient du terrain en Afrique et en Asie, y compris dans certaines nations ayant gardé un souvenir douloureux de la domination coloniale.
À sa mort, la reine était encore considérée comme la cheffe d’État de quinze royaumes, à savoir: Antigua-et-Barbuda, l’Australie, les Bahamas, Belize, le Canada, Grenade, la Jamaïque, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, les Îles Salomon, Tuvalu et le Royaume-Uni.
Émotion pour Justin Trudeau
Reine du Canada, Élisabeth II a visité pas moins de 22 fois le Canada où elle se sentait comme chez elle, rappelle notre correspondante à Québec, Pascale Guéricolas. Toute la journée de jeudi, les élus canadiens ont témoigné des souvenirs qu’ils gardent de la Reine, et en premier lieu le Premier ministre canadien Justin Trudeau. « Ses conversations vont me manquer énormément », a témoigné le Premier ministre Justin Trudeau lors d’une déclaration empreinte d’émotion. Il faut dire que Justin Trudeau a connu Élisabeth II enfant, alors qu’il accompagnait son père lors d’une visite officielle à Londres. Pierre-Elliott Trudeau dirigeait alors le Canada.
It was with the heaviest of hearts that we learned of the passing of Canada’s longest-reigning Sovereign, Her Majesty Queen Elizabeth II. She was a constant presence in our lives – and her service to Canadians will forever remain an important part of our country’s history.
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) September 8, 2022
Le Premier ministre a rappelé les liens constitutionnels entre la reine d’Angleterre et du Canada et cette monarchie constitutionnelle. « Elle était notre reine pendant presque la moitié de l’existence du Canada et elle avait une affection évidente et profonde pour tous les Canadiens », a-t-il pointé.
Sur le plan politique et protocolaire, le roi Charles devient donc roi du Canada, et le Parlement lui prêtera bientôt allégeance. Si une partie des Canadiens se définissent toujours comme royalistes, une bonne proportion d’autres, en particulier au Québec, souhaitent tourner le dos à un système qu’ils jugent dépassés. Changer la Constitution cependant semble presque impossible. Il faudrait en effet obtenir l’approbation de toutes les provinces dont les populations ont des vues divergentes sur cette question.
Le très républicain Anthony Albanese salue la « décence intemporelle » de la reine
Le Premier ministre australien Anthony Albanese, républicain convaincu, a rendu hommage vendredi à la « décence intemporelle » de la reine Elizabeth II et a déclaré que sa mort marquait la « fin d’une époque ». « Les cœurs australiens vont vers le peuple du Royaume-Uni qui est en deuil aujourd’hui, sachant qu’ils auront le sentiment d’avoir perdu une partie de ce qui fait l’unité de leur nation », a déclaré Anthony Albanese. Il a salué « un règne historique et une longue vie consacrée au devoir, à la famille, à la foi et au service ». « Il était clair que Sa Majesté avait une place spéciale dans son cœur pour l’Australie », a déclaré Anthony Albanese, reconnaissant « la place spéciale qu’elle occupait dans le nôtre ».
L’Australie a été une colonie britannique pendant plus de 100 ans. Le pays a obtenu son indépendance de facto en 1901, mais n’est jamais devenu une république à part entière. En 1999, les Australiens ont voté de justesse contre la destitution de la reine, au milieu d’une polémique sur le fait que son remplaçant serait choisi par les membres du Parlement et non par le public. Les sondages réalisés avant la mort d’Elizabeth II montraient que la plupart des Australiens étaient favorables à l’instauration d’une république, mais il n’y a guère d’accord sur la manière dont le chef d’État doit être choisi.
Cependant, la question a été ravivée depuis qu’Anthony Albanese a été élu premier ministre au début de l’année. Il a rapidement nommé le premier « ministre de la république » du pays et a suggéré qu’un autre référendum pourrait être organisé à l’avenir.
Comme les autres pays du Commonwealth, la Nouvelle-Zélande est rentrée dès ce matin dans une période de deuil. Les drapeaux sont en bernes et plusieurs livres de condoléances ont été placés dans les bâtiments publics du pays ainsi que dans des églises pour que les Néo-Zélandais laissent un message ou un souvenir concernant la reine s’ils le souhaitent, explique notre correspondant à Wellington, Richard Tindiller. Quant à l’armée, le 16e bataillon a tiré aujourd’hui 96 coups de canons sur le front de mer de Wellington devant plusieurs milliers de personnes.
La Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a déclaré avoir appris le décès de la reine quand un « officier de police a braqué une torche dans ma chambre vers cinq heures moins dix ce matin ». Elle avait lu l’annonce de la mauvaise santé de la reine avant d’aller se coucher, a-t-elle raconté. « Quand la torche est entrée dans ma chambre, j’ai immédiatement su ce que cela signifiait », a-t-elle poursuivi. « Je suis profondément triste. »
Face aux journalistes elle a également décrit la nature de sa relation avec la reine d’Angleterre. Jacinda Ardern, qui est devenue mère durant son mandat, lui avait demandé conseil quant à son rôle de parent ou de grand-parent alors qu’elle avait pour obligation de servir le pays. La reine lui avait tout simplement dit qu’elle n’avait pas le choix, qu’elle devait mêler tout ça à la fois.
La Première ministre néo-zélandaise a ensuite confié avoir beaucoup appris d’elle en l’observant lors de leurs rencontres. Elle a également mentionnée le côté humain que la reine Elizabeth pouvait avoir lors de ces conversations. Elle a rappelé par exemple avec humilité que lors du confinement, la reine Elizabeth lui avait dit qu’elle écoutait alors un podcast sur une personne qui fût un prisonnier politique durant des années. Lui rappelant alors que le confinement n’était pas grand chose en comparaison. Enfin la première ministre a aussi parlé de l’humour de la reine Elizabeth, lors d’une visite en 1986 certains manifestants avaient jetés des œufs sur la reine. Elle avait plus tard ironisé en rappelant au Parlement que ce sont les œufs néo-zélandais qu’elle préférait dans son « english breakfast ».
En Inde, des hommages ambivalents
L’Inde ne semble pas ébranlé par la mort de la monarque, mais la presse revient largement sur la forte relation d’Elizabeth avec l’Inde, notamment ses trois visites ou elle a été accueillie avec ferveur, rapporte notre correspondant à Bangalore Côme Bastin. Lors de la dernière, en 1997, elle avait brisé un tabou en abordant les « épisodes difficiles de la colonisation ».
Le Premier ministre indien Narendra Modi s’est dit « peiné par la disparition » de la reine Elizabeth II. La souveraine britannique a été « un guide inspirant pour sa nation et son peuple », a déclaré Narendra Modi en offrant ses condoléances à la famille royale et aux Britanniques. Narendra Modi lui a rendu hommage avec une anecdote. En 1947, pour son mariage avec Philip Mountbatten, Gandhi ne savait pas quoi offrir parce qu’il avait fait vœu de renoncer à toute possession. Le Père de la nation indienne avait alors fait usage de ses talents de tisseur et brodé un mouchoir portant l’inscription « Victoire à l’Inde », quelques semaines seulement après l’Indépendance. Un cadeau perçu comme quelque peu inapproprié à Londres.
Rahul Gandhi, figure du parti du Congrès, le parti de la décolonisation, a lui aussi rendu hommage à la reine. La mort d’Elizabeth II prend en réalité place dans une atmosphère d’anticolonialisme croissant en Inde. La veille de sa mort, Narendra Modi se félicitait du déboulonnage d’une statue de George V et du changement de nom de l’avenue anglaise Rajpath (Avenue des rois) récemment rénovée à grand frais dans la capitale.
Le dirigeant de la grande banque Kotak Mahindra saluait quelques jours plus tôt le fait que le PIB de l’Inde dépassait désormais celui de l’ancienne puissance coloniale. Reste que les indiens font la distinction entre l’histoire de l’Empire britannique et la reine, perçue comme une amie. Certains sur les réseaux sociaux soulignent néanmoins qu’il est paradoxal de lui rendre hommage alors qu’elle a longtemps freiné la décolonisation.
Arif Alvi, président du Pakistan, le deuxième pays le plus peuplé du Commonwealth après l’Inde, a salué la mémoire d’« une grande et bienfaisante dirigeante ». « Sa mort laisse un immense vide dont le souvenir restera gravé en lettres d’or dans les annales de l’histoire mondiale », a-t-il ajouté. Elizabeth II avait visité le Pakistan deux fois, en 1961 et 1997, lorsque le pays fêtait les 50 ans de son indépendance de l’empire britannique des Indes. La Grande-Bretagne est le premier partenaire économique du Pakistan, et abrite l’une de ses plus grandes diasporas.
Le président des Maldives, Mohamed Ibrahim Solih, a déclaré que la reine était un « exemple brillant de service public, de résilience et de dévouement à son pays ».
« Une grande amie de l’Afrique qui l’aimait en retour »
Le Gabon et le Togo, qui ont rejoint le Commonwealth il y a trois mois seulement, ont salué la mémoire d’Elizabeth II. Le président gabonais Ali Bongo a adressé dans un tweet ses « sincères condoléances au peuple britannique, à [son] ami Sa Majesté le Roi Charles III et à toute sa famille ». Il a loué « une grande amie de l’Afrique qui l’aimait en retour », ajoutant « ce soir, la famille du Commonwealth porte le deuil de la Reine Elizabeth II ».
Ce soir, la grande famille du #Commonwealth, dont le #Gabon fait partie, est en deuil.
La Reine Elizabeth II était une grande amie de l’Afrique qui l’aimait en retour.
Mes sincères condoléances au peuple britannique, à mon ami Sa Majesté le Roi Charles III et à toute sa famille.
— Ali Bongo Ondimba (@PresidentABO) September 8, 2022
Son homologue togolais Faure Gnassingbé, a décrit « une tristesse qui s’étend à la planète entière, tant la souveraine incarna une figure universelle de l’amitié entre les peuples ».
Son pays est lui aussi membre de l’organisation internationale, le Camerounais Paul Biya avait été reçu à Buckingham palace par la reine en 2004. Il a dit « s’incliner devant la mémoire de cette illustre souveraine, particulièrement respectée à l’étranger ». Le Congolais Félix Tshisekedi a décrit « une perte immense ».
Les pays anglophones comme le Kenya ont bien évidemment réagi. Élu il y a quelques jours à peine, le nouveau président élu, William Ruto a salué son « leadership admirable au sein du Commonwealth depuis sept décennies ».
« Sa Majesté la reine Elizabeth II était une immense icône au service désintéressé pour l’humanité et une figure de proue essentielle non seulement du Royaume-Uni et du Commonwealth, dont le Kenya est un membre éminent, mais aussi du monde entier », a de son côté déclaré le président sortant, Uhuru Kenyatta. Il a indiqué avoir « reçu la triste nouvelle (…) avec un grand chagrin et un profond sentiment de perte », rappelant les liens étroits que l’ancienne colonie britannique entretenait avec la reine.
Elizabeth II, alors princesse, était en visite au Kenya en février 1952 lorsqu’elle avait appris la mort de son père. Le Kenya était la première étape de la tournée du Commonwealth qu’elle avait entreprise avec son mari, le prince Philip, à la place de son père malade. Ils venaient de passer la nuit au Treetops, un pavillon d’observation de la nature, perché au sommet d’un figuier géant dans le parc national des Aberdare au centre du Kenya lorsque Elizabeth a appris qu’elle devenait reine. Un séjour qui a fait la notoriété de l’hôtel.
La reine avait longtemps dénoncé l’apartheid en Afrique du Sud, où elle avait refusé de se rendre pendant plus de 40 ans. Jeudi soir, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a parlé d’une « personnalité extraordinaire » dont « l’engagement et le dévouement restent un exemple ». Il s’est rappelé leur dernière rencontre, en 2018, où ils avaient regardé des lettres de Nelson Mandela envoyées à la reine.
Le président du Zimbabwe qui s’est retiré du Commonwealth en 2003 après sa suspension en raison de problèmes liés aux droits de l’homme, et des décennies de relations glaciales avec l’ancienne colonie, a présenté ses condoléances aux Britanniques. « Qu’elle repose en paix », a écrit Emmerson Mnangagwa.
Le président malawite Lazarus Chakwera a écrit sur Facebook : « Nous pleurons le décès d’un grand monarque », exprimant ses « plus profondes condoléances », notant que la reine Elizabeth a également été reine du Malawi entre 1964 et 1966. « Pour nous, en tant que nation, son héritage inimitable en tant qu’amie du Malawi sera à jamais gravé dans nos cœurs et marqué de manière indélébile dans les pages de notre histoire. »
La présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, sur Twitter, s’est dite « profondément attristée » du décès de la reine Elizabeth II, ajoutant que « le monde entier se souviendra de la Reine comme d’un pilier de force, de paix, d’unité et de stabilité ».
We join H.E. the President, Samia Suluhu Hassan, in mourning the passing of Her Majesty the Queen Elizabeth II. Revered Monarch and loving personality. A unifying force across the Commonwealth and the world. Our hearts go out to the Royal Family and the British people. pic.twitter.com/b2QrNRR2PL
— Official – Tanzania High Commission London (@BaloziLondon) September 8, 2022