[Dossier] Championnat professionnel : Dix ans d’amateurisme

Il y a du plomb dans l’aile du football professionnel sénégalais. La Ligue pro traverse une crise financière grave. Quant aux clubs, à l’image de Teungueth Fc qui s’est déclaré forfait pour la coupe d’Afrique des champions, ils sont dans un marasme économique et ne cessent de perdre leurs bons joueurs.

Après une décennie d’existence, on espérait voir au Sénégal un football professionnel qui prospère. Dix ans d’existence qui devraient permettre à la structure d’asseoir de solides bases pour pérenniser ses actions. Mais à l’arrivée, les attentes sont plutôt déçues. L’instance dirigée par Saër Seck, par ailleurs président de l’institut Diambars, traine les pieds. La Ligue pro, c’est d’ailleurs dix ans de souffrance, de manque de moyens, d’amateurisme qui ont fini d’installer une précarité. Aujourd’hui, l’avenir du football et des clubs reste sombre.

Le premier mal du football local est, sans doute, l’argent, les problèmes financiers. Et c’est l’instance dirigeante qui en est la première victime. Depuis sa création, la Ligue pro tire le diable par la queue. Avec les nombreuses dettes contractées au fil des ans, elle se retrouve avec un déficit budgétaire de plus de 200 millions F Cfa, cette saison. Ce qui a plombé le début de la saison de la Ligue 1 et 2. La semaine dernière, c’est la fédé qui a volé à son secours avec une subvention de 150 millions de F Cfa pour décanter la situation.

Ce qui a installé un certain pessimisme chez certains acteurs. « J’avais rêvé d’un changement de conjoncture après notre qualification à la coupe du monde, espérant que l’on saisirait l’opportunité pour générer des ressources financières importantes pour les clubs, mais hélas », regrettait Louis Lamotte.

La colère de Souleymane Ndéné Ndiaye

Selon l’ancien vice-président de la Fédération sénégalaise de football, force est de constater qu’en dépit des « efforts louables » des dirigeants et présidents de clubs, la situation financière des clubs, « leur viabilité » même dans cet exercice de professionnalisation pose problème. « Malheureusement, je ne suis pas optimiste pour une évolution favorable de la situation », confie-t-il.

Malick Thiam, président de la Ligue de Dakar, membre du comité exécutif de la Fsf et président de Yeggo abonde dans le même sens que Lamotte. « Les charges sont énormes. Nous avons un prototype de club qui est un club à mécénat. C’est le président qui sort de sa poche pour pouvoir subvenir aux besoins du club. C’est ça qui pose problème. C’est pourquoi les clubs n’arrivent pas à joindre les deux bouts », renseigne Malick Thiam.

Pour le président de L’As Saloum de Kaolack, Souleymane Ndéné Ndiaye, il faudrait plus de réflexion sur le financement des clubs. « Je pense qu’il faut réfléchir à un football professionnel, et impliquer les sociétés qui sont sur le même territoire que les équipes locales. Figurez-vous qu’à Kaolack, il y a beaucoup de sociétés, mais aucune d’elles ne vient soutenir les équipes kaolackoises, c’est scandaleux ! », s’offusque-t-il.

Malick Thiam également, a le même avis que l’ancien Premier ministre du Sénégal. Pour lui, la réflexion doit aller dans le sens de trouver des sponsors qui vont accompagner les clubs, sans oublier des droits de télévision qui vont être redistribués chaque saison. « Il faut aussi voir comment accompagner financièrement nos clubs avec des subventions de l’Etat, de la Fédé ou bien de la Ligue professionnelle », propose-t-il.

Forfaits aux compétitions africaines et départs des joueurs

Le manque de moyens est aujourd’hui un problème généralisé chez les clubs. C’est d’ailleurs ce qui a poussé le vainqueur de la coupe du Sénégal, Teungueth Fc à déclarer forfait pour la coupe d’Afrique des clubs africains. Une sorte de retour en arrière du football sénégalais qui n’a actuellement qu’un seul représentant dans le continent, Génération Foot.

« Quand Tfc ou un autre club part en compétition africaine, ils représentent le Sénégal. On ne peut pas se battre pour avoir quatre équipes et en même temps, affaiblir l’un de nos représentants. Cela nous ramène 30 ans en arrière », avait dénoncé Mbaye Diouf Dia.

Face à cette situation, les joueurs n’hésitent pas à tenter leurs chances dans d’autres championnats plus huppés, même de la sous région. Cette saison, par exemple, plus de 20 joueurs ont quitté le championnat local. « Nos footballeurs ne font plus le discernement entre les clubs idéals pour leur profil et ceux qui ne les sont pas. Parce que tout simplement, le niveau de notre championnat est très bas par rapport à ce qu’il devrait représenter. A la première occasion, ils cherchent à s’exiler. Parfois, beaucoup de choses font qu’ils aient des désillusions », explique Badara Sarr, entraîneur du Casa Sport.

Ces facteurs ont aussi des répercussions sur la qualité des joueurs formés au Sénégal. La preuve, les clubs sénégalais ont du mal à atteindre les phases de poule des compétitions africaines. L’équipe nationale locale n’arrive plus depuis quelques années à se qualifier au Championnat d’Afrique des nations (Chan). « A part les Académies, les équipes ne s’entrainent pas comme il se doit. Par exemple, à Dakar, beaucoup de clubs s’entrainaient à Demba Diop. Et depuis la fermeture de cette infrastructure, les clubs peinent à trouver des terrains d’entrainement. Les compétitions sont aussi jouées dans des conditions difficiles et tout cela a des impacts négatifs sur la qualité du jeu produit et des footballeurs », reconnaît le coach du Casa Sport.

« On va retourner à l’amateurisme si… »

Pour certains, la Ligue professionnelle n’a pas sa raison d’être au Sénégal. « Il faut dissoudre la Ligue sénégalaise de football professionnel (Lsfp) parce qu’il n’y a pas de football professionnel au Sénégal, il faut repenser le professionnalisme. Il n’y a que quelques clubs qui peuvent aller avec leurs maigres moyens et le gros de la troupe vit avec le soutien de deux ou trois personnes de bonne volonté, ce n’est pas sérieux », propose Souleymane Ndéné Ndiaye, président de l’As Saloum.

Une idée rejetée par le président de la Ligue de Dakar. « Le professionnalisme, c’était une condition de la Fifa. Ça devait être étalé sur quelques années pour arriver à un certain niveau. Malheureusement les mesures d’accompagnement n’ont pas suivi. Il faut aussi qu’on évolue. On ne peut pas retenir des gens dans l’amateurisme », regrette Malick Thiam.

Une chose est sûre, si des solutions ne sont pas apportées aux nombreux problèmes qui impactent le football professionnel, de nombreux clubs retourneront à l’amateurisme. « S’il n’y a pas un appui, une aide, ces clubs vont retourner dans le football amateur. Une seule personne ne peut pas subvenir éternellement aux besoins d’un club. Comment peut-on gagner la coupe nationale et déclarer forfait aux compétitions africaines ? Si ça continue comme ça, d’autres vont déclarer forfait », conclut-il.