Un rapport parlementaire présenté mardi affirme que l’État français est « le premier responsable » de la pollution au chlordécone en Guadeloupe et Martinique, où plus de 90 % des populations sont contaminées. Le rapport pose la question de la réparation et recommande par ailleurs de faire de la recherche sur ce pesticide une priorité.
L’État est « le premier responsable » de la pollution au chlordécone, un insecticide qui a contaminé les sols de Guadeloupe et de Martinique pendant plusieurs décennies, selon les premières conclusions d’un rapport d’une commission d’enquête parlementaire, présenté mardi 26 novembre.
Après six mois d’auditions sur ce qu’Emmanuel Macron a lui-même qualifié de « scandale environnemental », les membres de la commission d’enquête se réunissent dans la matinée pour valider le rapport final, dont les conclusions et préconisations seront présentées par la rapporteure, la députée Justine Benin (MoDem), en fin d’après-midi.
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La commission d’enquête parlementaire, présidée par le député PS de Martinique Serge Letchimy, était notamment chargée de mieux comprendre comment le chlordécone, un insecticide dangereux, perturbateur endocrinien et cancérogène probable, a pu être autorisé entre 1972 et 1993 dans les bananeraies des Antilles. D’autant que sa toxicité et son pouvoir persistant dans l’environnement étaient connus depuis 1975, lorsque les États-Unis ont décidé de l’interdire, et « même avant », selon Justine Benin.
« Indéniablement, l’État est le premier responsable », pour avoir autorisé la vente de ce produit, a expliqué Justine Benin en présentant les grandes lignes du rapport à l’AFP, mais « ces responsabilités sont partagées avec les acteurs économiques. Les industriels d’abord, mais aussi les groupements de planteurs et certains élus, qui ont défendu jusqu’au bout l’usage du chlordécone, qu’ils considéraient à tort comme un produit miracle sans possibilité d’alternative ».
Une pollution « fruit d’un aveuglement collectif »
Près de 40 ans après, 95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais sont aujourd’hui, selon Santé Publique France, contaminés par le produit, qui a aussi des incidences sur le développement des enfants exposés pendant la grossesse, avec une hausse des risques de prématurité notamment.
Une pollution source d’angoisse pour la population, car le chlordécone se retrouve aussi dans l’eau, certains légumes, viandes et poissons, entraînant des interdictions de cultiver certains produits et des interdictions de pêche, aux conséquences économiques importantes.
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Le gouvernement a pris conscience de ce désastre sanitaire : en septembre 2018 aux Antilles, Emmanuel Macron jugeait cette pollution « fruit d’un aveuglement collectif », dans lequel l’État « a sa part de responsabilité ».
Auditionnés par la commission d’enquête, plusieurs ministres ont aussi reconnu la faute de l’État, à « une époque où la Santé publique pesait moins dans les décisions qu’aujourd’hui », a avancé la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
« Ce drame environnemental, sanitaire et économique exige sans délai réparation »
« Ce drame environnemental, sanitaire et économique exige donc sans délai réparation », explique Serge Letchimy, qui énumère quelques-unes des préconisations du rapport, comme « un plan d’ampleur de dépollution des terres pris en charge par l’État, des indemnisations à la hauteur de la crise pour les agriculteurs de la diversification et pour les pêcheurs, l’analyse gratuite des sols réalisée dans un délai de cinq ans pour un budget de l’ordre de 25 millions d’euros », ou encore « la mise en place d’un dépistage gratuit pour toutes les populations vulnérables » et « des mesures de traçabilité de tous les produits alimentaires issus des circuits formels et informels dans les trois années à venir ».
Le rapport recommande aussi de faire de la recherche sur le chlordécone une priorité, notamment dans le domaine de la santé, où des questions demeurent sur le caractère cancérogène du produit, mais aussi sur les possibilités de dépolluer les sols, pour l’instant inexistantes.
En matière de réparation pour les malades, la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, inscrite dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2020 récemment adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, apporte une première réponse. Mais celle-ci est « limitée » et « incomplète », ont déploré les membres de la commission d’enquête lors des auditions.
« Les Guadeloupéens et Martiniquais attendent la vérité. Ils exigent des réponses claires sur ce qu’ils vivent depuis des années comme un drame écologique, sanitaire et économique », explique Mme Benin.
Après les insuffisances constatées des « plans chlordécone » successifs mis en place par l’État depuis 2008, toutes ces recommandations devront s’inscrire dans le quatrième plan prévu en 2020. « Nous n’avons pas droit à l’erreur », insiste Justine Benin.