Il est toujours difficile, après la perte d’une vie humaine dans des circonstances similaires à celles ayant entrainé la mort de l’étudiant Mamadou Fallou Séne de l’université Gaston Berger de Saint Louis, de ne pas s’en offusquer quand on sait que qu’on aurait pu l’éviter. Ce cas vient, malheureusement, s’ajouter à ceux du même genre au passif des forces de sécurité. Mais ce qui inquiète le plus c’est la récurrence des causes liées à l’utilisation des armes à feu et la justification des conséquences meurtrières qui en découlent par l’invocation ubuesque de dispositions légales ou réglementaires, aux fins de trouver une excuse absolutoire à l’agent présumé responsable, sous le couvert d’un Etat détenteur du monopole de la violence légitime.
Pour justifier les actes de violence contre une personne (manifestant ou délinquant) et leurs conséquences dommageables, les forces de sécurité (ci-après, les responsables de l’application des lois) considèrent souvent la sommation comme un ultimatum instantané qui marque, de facto, l’épuisement des procédures relatives à l’utilisation des armes à feu et la légitimité du résultat atteint, notamment la perte d’une vie humaine ou la constatation de blessures graves. Or la sommation, si elle peut être considérée comme un acte substantiel, elle n’est pas suffisante pour justifier l’utilisation des armes à feu, à des fins meurtrières. Quoi qu’il en soit, les responsables de l’application des lois ne pourront recourir intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines et est conforme aux principes de proportionnalité. Le cas échéant, la justification qui absout le mis en cause devrait être établie, à la suite d’une enquête et d’une décision de justice.
Dès lors, Le recours à l’utilisation des armes à feu devrait être concilié avec le respect des droits de l’homme. Aussi devrait-t-il être analysé, pour effacer « la laideur des bavures policières », sous le prisme des contraintes additionnelles contenues dans les instruments internationaux qui font du droit à la vie et à l’intégrité physique partie du « noyau dur des droits humains » et subséquemment, une obligation « erga omnes » dont l’Etat du Sénégal est débiteur vis-à-vis de la communauté internationale. Cette obligation est, d’ailleurs, la conséquence du « jus cogens » qui en fait une norme impérative et contraignante qui ne doit souffrir d’aucune dérogation.
C’est pourquoi, « Les responsables de l’application des lois doivent donner des instructions claires concernant les circonstances dans lesquelles les armes à feu peuvent être utilisées. Ces circonstances doivent se limiter aux situations où des vies sont directement menacées, soit la vie de l’agent concerné, soit celle d’un tiers. Dés lors, il est établi qu’il n’est pas permis de tirer sur un manifestant pour disperser un rassemblement ou sur un délinquant qui n’oppose aucune résistance armée pouvant mettre en danger la vie d’autrui.
Il existe donc, au-delà de la sommation, des circonstances exceptionnelles supplémentaires sur lesquelles le tireur ou celui qui donne l’ordre de tirer doit fonder son appréciation, avant de conclure que le manifestant ou le délinquant représente une menace immédiate pour la vie d’une autre personne et qu’il ne peut être arrêté par aucun autre moyen. Les principes de base sur le recours à la force et à l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois sont très explicites à cet égard selon les dispositions du Principe 9.
D’ailleurs, le principe 9 est complété en cela par l’article 2 du code de conduite pour les responsables de l’application des lois qui dispose : « Dans l’accomplissement de leur devoir, les responsables de l’application des lois doivent respecter et protéger la dignité humaine et défendre et protéger les droits fondamentaux de toute personne ».
A cet effet, les autorités chargées de la sécurité publique doivent alors établir des directives et procédures claires relatives à l’utilisation de la force et des armes à feu. Ces procédures doivent inclure des dispositions légales sur l’ouverture d’une enquête sur tout incident durant lequel la force ou les armes à feu ont été utilisées. Ils doivent, aussi, fournir à ceux d’entre les responsables de l’application des lois qui seront autorisés à porter des armes une formation spéciale sur les manipulations exactes, simples et cohérentes qui permettent d’engager leur arme avec rigueur, précision et efficacité quand la mission l’exige. Cette formation doit être permanente et axée sur l’appropriation des techniques de tir en fonction des armes disponibles (arme de poing, fusil …etc.). Car l’utilisation adéquate des armes requiert la maitrise des techniques de tir et la disponibilité d’excellents réflexes de la part du tireur. L’évidence révèle que la majorité des détenteurs d’armes de service ne fréquentent plus les champs de tir et tous les cas d’utilisation meurtrière des armes à feu ont été enregistrés à la suite d’un tir en position debout, peu stable, pouvant conduire à un résultat non recherché par manque d’adresse.
La formation doit aussi inclure les questions d’éthique policière, le respect des droits de l’homme, les méthodes de règlement pacifique des conflits par la négociation, la persuasion et la médiation mais surtout, le recours à des moyens techniques limitant l’utilisation des armes à feu.
Les pouvoirs publics devront ainsi, mettre à la disposition des responsables de l’application des lois, des armes neutralisantes et non meurtrières auxquelles ils pourront recourir dans des situations appropriées. Ce qui limiterait le recours aux moyens propres à causer la mort ou les blessures graves.
L’Etat du Sénégal devra, également se conformer en permanence au Principe 7 de base sur le recours à la force et à l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois qui dispose : « Les gouvernements feront en sorte que l’usage arbitraire et abusif de la force ou des armes à feu par les responsables de l’application des lois soit puni comme une infraction pénale, en application de la législation nationale ». Pour leur permettre aussi de mieux appréhender les limites des services de maintien de l’ordre et, éventuellement de pouvoir mesurer leur responsabilité pénale par rapport à la commission d’actes de violence meurtrière, leur formation – initiale et continue- devra comporter des études de cas se rapportant à des situations parfois moins graves et la rigueur des sanctions opposables à l’agent mis en cause. Tel que le cas de ces deux officiers de gendarmerie poursuivis pour détention arbitraire et condamnés (…) par le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand (France) pour avoir arrêté et retenu, lors de la visite dans l’Allier du président Sarkozy en 2010, un syndicaliste (…) considéré comme « un potentiel perturbateur ». Ils ont été condamnés, tout simplement, parce que la loi française ne permet pas de retenir quelqu’un au regard d’une « menace à l’ordre public ».
La pédagogie des études de cas du genre pourrait être concluante dans l’apprentissage et l’ancrage des réflexes obligeant les responsables de l’application des lois au Sénégal de faire le départ entre le permis et le non permis et de ne jamais verser dans l’excès de zèle, quelle que soit la nature de l’intervention de police et à fortiori, avant l’utilisation des armes à feu.
Au demeurant, les autorités chargées de la sécurité publique devront désormais, pour réduire au maximum les risques de perte de vies humaines ou de blessures graves au cours des opérations de maintien de l’ordre, s’assurer de l’existence d’un référentiel de « bonnes pratiques opérationnelles » concernant l’utilisation de la force et des armes à feu, conformément aux standards internationaux applicables en la matière.
Ces violences meurtrières qui endeuillent nos universités, nos villes et nos quartiers doivent impérativement cesser. Le glas sonne pour les personnes qui en sont victimes mais il sonne pour nous tous.
En tout état de cause, il faut le rappeler avec force, pour conclure, que tout ce que les forces de sécurité feront à l’endroit des populations pour préserver leur intégrité physique et leur droit à la vie, en faisant moins recours à l’usage des armes à feu et de la force dans les opérations de maintien de l’ordre aura pour envers la professionnalisation de leurs fonctions.
Cheikh Sadibou Doucouré
Spécialistes des droits de l’homme et des questions pénitentiaires