Alors que l’Aïd El Adha approche, la crise sanitaire s’aggrave en Algérie. Et l’épidémie complique sérieusement les préparatifs.
Plus de doute ni de suspense sur le maintien ou l’annulation de l’Aïd El Adha le 30 juillet. Le débat est désormais clos : la fête du pardon et du sacrifice du mouton, qui commémore le geste du prophète Abraham – l’un des rites religieux les plus importants de la religion musulmane -, aura bel et bien lieu en Algérie.
La fête de l’Aïd est maintenue alors que le pays fait face à une hausse inquiétante du nombre de cas de Covid-19. Le pays a franchi une nouvelle barre symbolique mercredi avec 554 nouvelles infections. Au 17 juillet, 1 052 décès et plus de 21 300 contaminations avaient été recensés depuis le début de la pandémie. Face à la recrudescence des cas, les autorités ont annoncé jeudi 16 juillet le prolongement, pour une durée de dix jours, des mesures de confinement partiel pour les 29 wilayas les plus concernées.
Des appels avaient pourtant été lancés pour l’annulation du rituel sacrificiel en raison de la situation sanitaire. Mais d’autres voix, comme celles de l’association des Oulémas, du syndicat des Imams ou du personnel du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs, ont rejeté tout appel à l’annulation du rituel sacrificiel. Au début de la pandémie, le pays avait été l’un des derniers à consentir de fermer ses mosquées, le 17 mars dernier.
Recommandations
Le dernier mot est revenu à la commission ministérielle des Fatwas, seul organisme habilité à trancher sur les questions d’ordre religieux. Ce mardi 14 juillet celle-ci s’est prononcée pour le maintien du sacrifice de l’Aïd El Adha, avec toutefois quelques recommandations. Le sacrifice sera étalé sur les trois jours de l’Aïd, et les citoyens sont invités à respecter les mesures barrières contre le coronavirus, à stériliser leurs outils d’abattage, éviter les échanges, réduire le nombre de participants au processus d’abattage et à porter un masque de protection à toutes les étapes du rituel.
Depuis près d’un mois, la vente des moutons de l’Aïd bat son plein. Beaucoup de citoyens ont déjà acheté leur mouton ou l’ont réservé à l’achat. Des camions sillonnent le pays avec des cargaisons de bêtes à immoler. Outre les marchés à bestiaux qui ne désemplissent pas, les maquignons ont déjà loué des garages et des espaces ouverts dans toutes les villes du pays.
Mais certaines photographies de clients agglutinés autour de moutons ont provoqué la polémique. Conséquence : en début de semaine, décision était prise de fermer tous les marchés à bestiaux sur le territoire de la wilaya de Guelma. Les walis de Relizane et Djelfa lui ont emboîté le pas. Les camions chargés de moutons sont désormais interdits de rentrer dans Alger. Ailleurs, la population continue de fréquenter les souks, alors que les prix du mouton connaissent une hausse vertigineuse du fait des restrictions de sa vente.
« Incursion du sacré dans le profane »
La question du maintien ou non de l’Aïd a fait naître un autre débat, certains estimant que les religieux n’ont pas à se prononcer sur une question de santé publique. « Cette incursion du sacré dans le profane peut créer un précédent dangereux. Il n’est pas exclu que le “clergé” soit consulté à l’avenir sur le problème de la mixité dans les transports publics, la concordance du programme de géographie en CM2 avec les principes du malékisme, la licéité des assurances automobiles, et qu’on exige de tout grand malade de certifier par le sceau de l’imam l’autorisation médicale de dispense de jeûne », ironise Mohamed Adjou, ancien cadre d’une entreprise publique et journaliste à la retraite.
La docteur Dr Berrekla-Yefsah, spécialisée en gynécologie-obstétrique, va plus loin : « Celui qui demande une fatwa pour un problème sanitaire doit se rendre à la mosquée au lieu de l’hôpital s’il tombe malade », écrit-elle sur sa page Facebook. D’autres rappellent avec amertume que, plutôt que de construire des hôpitaux, les dirigeants du pays ont préféré offrir à leur peuple l’une des plus grandes mosquées du monde.
« L’Algérie connaît une flambée de Covid-19 et la situation est très préoccupante », s’est ainsi alarmé le Dr Mohamed Yousfi, chef du service des maladies infectieuses à l’EPH de Boufarik, dans un entretien accordé au journal en ligne TSA. Le flux de malades, dont beaucoup sont dans un état grave, ne cesse d’augmenter, et les professionnels de la santé, sur le pied de guerre depuis cinq mois, sont épuisés.
Violences contre le personnel de santé
Des professionnels qui paient un lourd tribut, et qui doivent faire face à un autre phénomène tout aussi inquiétant : la multiplication des agressions à leur encontre. De fait, les violences envers les blouses blanches se sont mutlipliées avec l’aggravation de l’épidémie. Le directeur de l’hôpital de Bouira s’est blessé lundi en prenant la fuite alors que des proches en colère d’un malade décédé menaçait le personnel hospitalier, a indiqué Mohamed Laib, directeur de la santé de Bouira.
Les nouvelles qui arrivent de la capitale, Alger, comme des villes de l’intérieur telles que Biskra, Batna, Sétif, Ouargla, Béjaïa et bien d’autres, sont alarmantes. Les hôpitaux sont saturés et les malades ne cessent d’affluer. « Avant le déconfinement, on enregistrait deux hospitalisations par jour, maintenant, nous en sommes à 80 », estime Khodja Hadj, directeur de la santé de la wilaya de Béjaïa.
« L’Aïd ? Je n’ai vraiment pas la tête à faire la fête. Ni mouton ni embrassades, cette année, ce sera une journée comme une autre, estime Nedjma, 48 ans, femme au foyer et mère de deux adolescents. D’habitude, c’est l’occasion de réunir toute la famille et de rendre visite à tous les proches, mais ce satané virus nous oblige à la distanciation sociale et familiale. »
Comme elle, ils sont nombreux à davantage penser au Covid qu’à l’Aïd. Face au contexte sanitaire alarmant, le gouvernement pourrait être amené à durcir les mesures liées à la vente des bestiaux. Voire à ordonner un reconfinement beaucoup plus strict, si la situation venait à s’aggraver.
Auteur : Jeune Afrique