A Gorée, île mythique et historique logée dans la baie de Dakar dans l’océan Atlantique nord, se développe la pêche sous-marine, appelée encore chasse sous-marine. Plongée dans le business florissant d’un métier à risques.
Petit de taille et d’apparence souriante, Ousmane Guèye sort de l’eau, le corps tout trempé. Il se dirige vers la terre ferme et tient dans sa main une paire de palmes à voilures longues, un masque d’apnée et un pince-nez. Arrivé à hauteur d’une tente, le jeune pêcheur déverse sa prise du jour, des crustacés et céphalopodes, sur une table à bois. Ousmane Guèye, 48 ans, pratique de la pêche sous-marine, depuis plus de 20 ans. Ces dernières années, l’insulaire avait embrassé la restauration, mais avec la pandémie du Covid-19 qui «asphyxie» ce secteur, il a repris ses vieux habits de pêcheur, d’un genre si particulier. «Je suis né et j’ai grandi à Gorée. Je suis marié et père de 4 enfants. Je travaille à Kiki restaurant de Gorée, mais actuellement, avec nos activités qui sont en berne, j’ai repris mon job de pêche sous-marine. Le peu que je gagne me permet de gérer la dépense quotidienne et les charges annexes», détaille Ousmane, entre deux souffles.
Puis, la gestuelle leste, il ajoute : «Pour ma première tournée, j’ai pêché des pétoncles et des patelles dits chapeaux chinois. La pêche sous-marine est passionnante, mais c’est un labeur très difficile. Et avec les houles monstres, il est impossible de pêcher tranquillement en mer. Avec la bouteille à oxygène qui est d’ailleurs interdite en mer, on peut descendre jusqu’à 40 mètres de profondeur. Mais c’est risqué, plus on s’enfonce en profondeur, plus on a du mal à respirer. Nos poumons se contractent et se desserrent difficilement». Des risques de survie que l’insulaire ne prend pas à la légère. «Je ne m’aventure guère à aller en eau profonde. Ma moyenne de plongée tourne autour de 5 mètres», lance-t-il, avant de regagner à nouveau le large de «l’île-mémoire».
«5 amis ont été tués dans des accidents de plongée»
A Gorée, amas de terre logé dans l’océan Atlantique nord et situé dans la baie de Dakar, se développe la pêche sous-marine appelée encore chasse sous-marine. Cette activité déroulée en eau peu profonde ou profonde est le gagne-pain pour nombre de jeunes insulaires. Le procédé consiste à plonger en apnée pour chercher des produits halieutiques tels que des poissons pélagiques comme du hareng, du barracuda, des carpes rouges, mérous, bonites. Ainsi que du pagre, du Thiof, des crustacés et des céphalopodes. Mais ce métier comporte des dangers et risques, avec des accidents à la clé. Et pourtant, les jeunes insulaires pêchent sans la montre ordinateur d’apnée et chasse sous-marine permettant de calculer le nombre de descente effectué, le temps de la plongée en apnée, la profondeur, la température de l’eau. Des informations indispensables pour plonger en toute sécurité.
«Il y a 6 ans, un gars que je connaissais avait perdu la vie lors d’une plongée dans l’Atlantique. L’annonce de sa mort nous avait tous plongés dans une douleur indescriptible. D’ailleurs, depuis cette tragédie, j’ai décidé d’abandonner ce métier», se remémore, le cœur gros, le moral bas, un jeune pêcheur de l’île ayant requis l’anonymat.
Edouard Paul Ndour, «Goréen» de 26 piges, perché sur 1 mètre 60, a vu et connu pire, mais n’a jamais «fui» la pêche sous-marine. Cet après-midi là, on le croise à l’embarcadère de l’île, le physique gringalet caché sous un maillot bleu surmonté d’une petite culotte en Jean délavé. «Edou», pour les proches, a même abandonné les classes pour s’adonner exclusivement à ce métier de jeunesse. Il dit, le ton fier : «Je ne regrette rien. Il me fallait des moyens conséquents pour payer mes études. Mais vu la situation de ma famille, j’ai décroché et depuis, je me consacre uniquement à la pêche sous-marine. A l’île, ce genre de pêche est le travail favori de pas mal de jeunes. L’argent que je gagne dans ce labeur me permet de subvenir à mes besoins et à soutenir mes parents». «Actuellement, ajoute-t-il, j’évolue entre 5 et 6 mètres maximum de profondeurs. Mais, personnellement, je peux plonger jusqu’à 20 mètres de profondeur, sans la bouteille de plongée avec un réservoir d’oxygène de respirateur. Certains, sans cette bouteille d’oxygène, peuvent rester 2 minutes dans l’eau ou plus. D’autres ne peuvent rester que moins de 2 minutes sous l’eau. Mais, il y a des paramètres à prendre en compte, comme la température et l’état physique de l’eau». L’île n’a jamais enregistré de victimes de la pêche sous-marine. Mais, que de pêcheurs «noyés» par les vagues furieuses, aux larges de Gorée. Edouard Paul Ndour : «On peut heurter un rocher ou se retrouver sur des épaves. 5 de mes amis qui s’adonnaient à la pêche marine ont été tués dans des accidents de plongée. Certaines de ces victimes ont perdu la vie aux larges de Gorée. D’autres, vers la Petite Côte, à Mbour.»
«Je pouvais avoir 200 000 FCfa, en moins d’une journée de travail»
La pêche sous-marine est un job qui nourrissait son homme. Mais les temps ont-ils changé ? «Il arrive que la mer soit généreuse et qu’on se remplisse les poches. Il y a 5 ans, en moins d’une journée, on pouvait gagner 200 000 FCfa. Cependant, il arrive aussi qu’on retourne à la maison, les poches presque vides ou avec seulement moins de 15 000 FCfa», chiffre «Edu». Mais les choses sont au ralenti. Le «business» a flanché. Les chiffres d’affaires en baisse. La poussée du Covid-19 est passée par là et a chassé la principale clientèle des pêcheurs constituée en majorité de Toubabs. Pour sortir la tête de l’eau, Edouard Paul Ndour et ses camarades d’infortune ont mis en place un collectif «Gorée océan» conduit par Patrice Huc. Outre la défense des interjets des plongeurs, ledit collectif cherche à protéger les côtes de l’île. «Nous plongeons en apnée. Chacun y va avec sa capacité pulmonaire à gérer sa respiration sous l’eau. Par contre, il y a des gens qui plongent en bouteille et pratiquent la pêche sous-marine, alors que c’est interdit. La mer n’est pas très bien protégée au Sénégal. C’est fort de cela, qu’on a lancé en fin 2018, Gorée océan. Il regroupe une dizaine de pêcheurs. On s’évertue à nettoyer et à libérer les épaves qui sont des garde-mangers pour les gros poissons et servent d’abris pour les petits poissons. On essaie, en outre, de sensibiliser les pêcheurs artisanaux sur les menaces de reproduction des espèces halieutiques, mais ils nous qualifient souvent de petits blancs perdus», raille le «Goréen». Au moment où, l’eau murmure sous les coups de moteurs de la pirogue d’Assane Dème, plus connu sous le sobriquet de «Azou». Jeune insulaire parti en eau profonde pour pratiquer la chasse sous-marine. Le gain en vaut la plongée !
igfm