Joe Biden rentrera en fonction le 20 janvier prochain et jusqu’à cette investiture, Donald Trump restera aux commandes de la première puissance mondiale. Une période qui profite en général aux présidents américains qui n’ont plus leur présidence à perdre.
Après quatre jours d’incertitudes autour du dépouillement de l’élection présidentielle américaine, c’est finalement Joe Biden qui l’a emporté. Il deviendra donc officiellement le 46e président des États-Unis, après avoir traversé la période dite du « lame duck » (canard boîteux, en français), les quelques semaines durant lesquelles le président sortant reste au pouvoir avant la prise de fonction officielle de son successeur.
Durant cette période, Donald Trump gardera le contrôle de l’exécutif et Joe Biden lui, prendra connaissance des dossiers, suivra les briefings des services de renseignements, consultera et nommera son équipe : ministres, conseillers, responsables clés. Traditionnellement, cette période post-électorale est l’occasion pour les présidents perdants, qui ne sont plus contraints par la crainte de ne pas être réélu, de prendre certaines décisions qu’ils n’auraient pas prises auparavant par peur de rompre avec leur électorat.
Si cette période de transition peut relativement bien se passer entre l’administration en place et la nouvelle, l’histoire des États-Unis a déjà été marquée par des « lame duck » chaotiques. Cette année pourrait d’ailleurs bien finir en haut de la liste. Le refus de Donald Trump de concéder sa défaite, les recours intentés pour contester la victoire de Biden et la multiplication des accusations de fraudes annoncent quelque peu la couleur.
D’autant que Joe Biden n’a pas l’intention de perdre de temps. Samedi, lors de son discours de victoire, il a d’ores et déjà annoncé la création d’un groupe d’experts sur le Covid-19 afin qu’un plan soit opérationnel dès le 20 janvier 2021, jour de son investiture. « Biden souhaite rapidement tourner la page Trump », estime la politologue, journaliste et spécialiste des États-Unis, Marie-Christine Bonzom. Pas sûr que l’éphémère locataire de la Maison Blanche soit du même avis.
« Ça va être une période difficile », rajoute celle qui a couvert sept présidentielles américaines et cinq présidents américains, de George Bush père à Donald Trump. Évoquant la transition entre le chef de l’État Bill Clinton et le président élu George W. Bush en 2000, marquée par les différents qui opposaient Bush avec le candidat malheureux et vice-président Al Gore, elle rappelle que toute transition peut être ardue aux États-Unis. Notamment lorsque, comme pour ce scrutin, les résultats sont contestés et des recours judiciaires sont en cours. D’autant plus que le différend entre Bush et Gore concernait un Etat alors que celui entre Trump et Biden s’étale sur plusieurs États. « On est dans une situation nouvelle, en terrain un peu inconnu », concède la politologue.
Coopération ou résistance ?
Donald Trump pourrait-il donc profiter de ces prochaines semaines pour mettre des bâtons dans les roues à son successeur ? « Nous devrons voir ce qu’il se passe », répondait Trump quelques semaines avant l’élection. Et depuis le scrutin, le président reste silencieusement à la Maison Blanche, s’autorisant une partie de golf en Virginie et répétant ses accusations de fraudes sur Twitter.
Il a en tout état de cause les moyens de nuire à la future administration, et ses quatre ans à la tête des États-Unis ont montré que les décisions tonitruantes ne l’effrayaient pas. Selon CNN, les équipes de Joe Biden planchent depuis plusieurs semaines sur cette transition, en anticipant un éventuel manque de coopération de la Maison Blanche. Le leader républicain au Sénat Mitch McConnell a tenu à rassurer en déclarant que « bien sûr », il y aurait une transition pacifique.
Dans son rapport d’août 2020, le Transition integrity project (TIP), regroupant plus de 100 actuels et anciens hauts responsables du gouvernement et de la campagne, des universitaires, des journalistes, des experts en sondages et d’anciens responsables du gouvernement fédéral et des États, prophétisait dans un scénario fictif certains couacs de cette élection.
Les experts anticipaient une élection où le gagnant ne serait pas connu le lendemain du scrutin, et où une campagne « massive de désinformation » sur le vote par correspondance, des recours judiciaires et des accusations de fraudes émaneraient du clan Trump. Concernant la transition post-électorale, ils avançaient déjà une période « contestée » durant laquelle Trump pourrait « favoriser ses intérêts personnels ».
Décrets, grâces et limogeages…
Le président sortant pourrait également profiter de cette période durant laquelle il est libéré des contraintes électorales pour signer des décrets présidentiels et mettre une dernière fois en œuvre son programme. Toutefois, ce scénario a ses limites. Entre le délai d’application et la possibilité de revenir sur ces décrets du nouveau président, l’utilité de la manœuvre est vite limitée.
Avoir recours aux grâces présidentielles est aussi devenue une habitude pour les présidents en période de transition. « Tous les présidents américains ont gracié des gens à la dernière minute, y compris Clinton et Obama, pour prendre des exemples récents », rappelle Marie Bonzom. Respectivement, les deux derniers présidents ont gracié 140 et 330 personnes avant de quitter la Maison Blanche.
Trump aurait donc l’occasion de gracier ses proches empêtrés dans des affaires judiciaires. Dans plusieurs médias américains, les noms de Michael Flynn, son ancien conseiller à la Sécurité nationale mis en cause dans l’enquête sur les soupçons d’ingérence russe, Paul Manafort, ou encore Steve Bannon sont évoqués. Un pouvoir que le président a d’ailleurs déjà exercé durant son mandat avec quelques personnes controversées.
La période de transition peut également être l’occasion pour un président sortant d’en quelque sorte « régler ses comptes ». Le limogeage de personnalités de premier plan peut donc intervenir lors du « lame duck ». Donald Trump pourrait donc essayer de limoger le docteur Anthony Fauci, l’immunologue à la tête de la cellule de crise de la Maison Blanche chargée de la gestion de la pandémie de Covid-19, ou encore l’actuel directeur du FBI, Christopher A. Wray, qui a refusé d’enquêter sur la famille Biden.
Enfin, la Maison Blanche – et son matériel – peut aussi être la victime de cette transition. L’équipe de Joe Biden devrait s’attendre à quelques surprises en arrivant dans les lieux le 20 janvier prochain. Aux États-Unis, il est régulier que des objets disparaissent entre deux mandatures. Ainsi, lorsque George W. Bush a pris ses fonctions, les équipes de Clinton ont emporté avec elles les lettres « W » des claviers des ordinateurs de la Maison Blanche. Bienvenue à la « hite House ».