En recrutant dans le camp de la majorité tous les transfuges du Parti démocratique sénégalais, Macky Sall parvient à donner corps au rêve de son ex-mentor. Pendant que certains y voient une volonté de réunifier la famille libérale, d’autres estiment que c’est plutôt une volonté d’épurer ce qui reste du parti de Wade. Ou encore une manière de sauver les meubles dans son parti.
Il n’y a peut-être rien de nouveau sous le soleil. La transhumance régnant dans la jungle politique sénégalaise depuis le régime socialiste, au plus fort de son antagonisme avec son principal adversaire d’alors : le Parti démocratique sénégalais. Mais dans le fond, il y a un petit changement dans les modes de recrutement des états-majors qui se sont succédé au pouvoir.
Si autrefois, sous les socialistes, la préférence était surtout portée sur l’intelligentsia libérale, sous le PDS sur ceux qui drainaient les foules, sous Macky, c’est certes les deux, mais c’est aussi le recrutement de responsables tout-venant. Particulièrement tous ceux qui sont estampillés PDS.
‘’Ce qui est extraordinaire, fait remarquer le politologue Moussa Diaw, c’est que Macky Sall démarche tout le monde. Y compris même des gens qui n’ont plus aucune représentativité. C’est comme s’il voulait anéantir toutes les voix dissonantes qui se trouvent en face de son camp. Tout ce qui l’intéresse, c’est des personnes qui ont accès aux médias et qui peuvent le défendre. Peu importe leur trajectoire’’.
Dans cette catégorie, l’enseignant-chercheur classe certains alliés du président de la République, dont Pape Samba Mboup, Farba Senghor et Cie. Génie pour certains, Macky aurait surtout peur des critiques, si l’on en croit l’enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger. Il explique : ‘’C’est la peur qui fait ça, à mon avis. On sent quelqu’un qui a peur d’échouer, qui a peur des critiques. C’est pourquoi il ramasse n’importe quoi, n’importe qui. Tout cela s’inscrit dans une perspective électoraliste, à savoir les élections locales à venir. Il ratisse le plus large possible, au-delà même des libéraux, pour ne pas laisser à l’opposition un champ pour se développer.’’
Mais, à entendre Farba Senghor, l’alliance entre le mouvement Mbolom Wade et la majorité présidentielle est une alliance de raison, entre des frères se réclamant des mêmes convictions politiques. Il revient sur les péripéties du compagnonnage. D’abord, l’ancien chargé de propagande du PDS tient à rappeler que lui et son camarade Pape Samba Mboup ont été exclus du Parti démocratique sénégalais par les Wade, pour des divergences de points de vue. ‘’A l’époque, le PDS était l’un des partis les plus influents de l’opposition. Ne pouvant pas siéger dans un bloc où il y avait notre adversaire le plus irréductible, nous nous sommes mis dans notre coin à travailler. A la veille de la Présidentielle, nous avons décidé d’accompagner Macky Sall qui était le candidat qui nous était le plus proche et le mieux placé’’.
Malgré ce ralliement pré-présidentiel, Farba et ses amis sont toujours sur le banc de touche. Pendant ce temps, les derniers venus libéraux mangent à la table du chef de l’Etat. Interpellé sur ce point, il rétorque : ‘’Dans toutes les grandes équipes du monde, vous trouverez de bons joueurs sur les bancs de touche. Lesquels peuvent entrer dans la partie à tout moment et marquer des buts. Pour en revenir à l’entrée d’Oumar Sarr, il faut savoir qu’il a eu à poser un acte de haute portée, en répondant au dialogue national. Je suis de ceux qui pensent que s’il y avait un poste à donner, je suis pour que cela revienne à Oumar Sarr. Maintenant, il faut savoir que le président est le seul habilité à choisir son équipe. Il choisit qui il veut, quand il veut.’’
A ceux qui estiment que leur mouvement ne peut rien apporter à la majorité et que c’est pourquoi ils ne jouiraient pas d’une grande attention, il porte la réplique : ‘’Vous savez, j’ai joué le rôle que tenait Oumar Sarr pendant une bonne période au PDS. Il y a des franges importantes du parti qui s’entendent mieux avec Farba qu’avec Oumar Sarr. Mais nous ne sommes demandeurs de rien. C’est Macky Sall le président. Il choisit qui il veut, quand il veut. C’est vraiment être prétentieux que d’utiliser des voies quelconques pour l’inciter à décider dans un sens ou un autre’’.
Toutefois, l’ami de Thierno Alassane Sall est conscient de ses faiblesses, en termes de poids électoral. Il dit : ‘’Je drainais des foules, parce que j’étais aussi dans un grand parti. Vous savez, l’erreur que j’ai commise, je ne parlerai même pas d’erreur, disons, c’est ma loyauté totale au président Wade qui me vaut peut-être ce que vous considérez comme un manque de base. Je fais partie des rares responsables qui n’ont jamais créé les ‘amis de Farba Senghor’ ou autre. Je me suis fait entièrement dans Wade, qui était ma seule référence.’’
Dans tous les cas, la stratégie Sall continue de susciter des interrogations dans le landerneau politique. Captant l’essentiel des restes du Parti démocratique sénégalais, Macky Sall n’hésite pas à fragiliser la branche APR qui l’a porté aux affaires. D’ailleurs, dans cette formation, de plus en plus de seconds couteaux se lèvent pour sonner l’alerte.
Selon beaucoup d’observateurs, derrière ces grands inconnus, se cachent de gros bonnets du parti qui n’osent, pour le moment, s’afficher. C’est la conviction de Moussa Diaw. L’enseignant-chercheur affirme : ‘’A l’instar de la plupart des formations politiques du Sénégal, l’APR, c’est une propriété d’un homme, en l’occurrence le président Macky Sall. Personne n’ose dire un mot, puisque c’est lui qui a la possibilité de couper les têtes. Même si certains ténors ont des ressentiments, ils ne les feront pas sortir. Aujourd’hui, l’APR est l’ombre de lui-même dans la majorité présidentielle.’’
Ainsi, après l’épuration de l’opposition, l’autre défi sera peut-être de contenir les frustrations dans son camp, qui peuvent être bien plus dévastatrices que les tirs groupés de l’opposition. ‘’Macky ne veut pas que ses amis d’hier se retournent contre lui. Cela pourrait être dévastateur pour le camp présidentiel. Ces gens le connaissent très bien. Il n’a pas intérêt à ce qu’il y ait un rapprochement entre eux et ce qui reste de l’opposition. Ce sont des gens qui ont une capacité de nuisance. Leur rapprochement avec l’opposition peut être très gênant’’.
Par ailleurs, malgré les rancœurs ambiantes, les nouveaux venus libéraux se sentent, eux, très à l’aise dans la maison de leur frère. Farba Senghor témoigne : ‘’Nous, nous avons eu la chance d’être très bien accueillis. D’abord par Benno Bokk Yaakaar, ensuite par l’Alliance pour la République. Dès le lendemain de la Présidentielle, Cheikh Sadibou Fall (décédé), Pape Samba Mboup et moi avons été invités à la Conférence des leaders de la coalition Benno Bokk Yaakaar. A chaque fois, nous avions eu les mêmes droits que des partis comme l’AFP et le Parti socialiste. Il en est de même des manifestations de l’APR auxquelles nous avons été conviés.’’
Pour leur part, Idrissa Seck, Oumar Sarr, Samuel Sarr, Abdoulaye Sow, pour ne citer que ceux-là, ne se plaindront sans doute pas de leur compagnonnage avec l’actuel chef de l’Etat. Dans le camp présidentiel, on peut se réjouir de priver à l’opposition quelques fortes personnalités très présentes sur la scène publique, et avec des discours qui, généralement, peuvent faire mal. Selon l’analyse du politologue Moussa Diaw, cela s’inscrit en droite ligne dans la logique du chef de l’Etat.
Ainsi, par un contrôle strict de tous les intervenants dans le champ médiatique, Macky Sall pense qu’il peut agir sur la perception des Sénégalais, ou à tout le moins réduire leurs possibilités de choix, en perspective des futures échéances électorales. ‘’Si vous voyez bien, souligne le politologue, le président n’a eu de cesse de multiplier les initiatives, pensant qu’avec la communication, il peut contenir le mécontentement des populations. C’est quelqu’un qui a peur. C’est pour la même logique qu’il prend des gens qui, électoralement et politiquement, ne peuvent rien lui apporter. Mais c’est de fortes têtes qui ont accès aux médias et qui jouissent d’une certaine expérience de la vie politique sénégalaise. Ce qui intéresse Macky Sall, c’est d’avoir des gens qui peuvent aller à la télé et le défendre. Cela traduit toute son inquiétude’’.
Mais à en croire le politologue, ce n’est pas gagné. Les idées des Sénégalais sur l’œuvre du régime étant généralement figées, dans un sens comme dans un autre. Pour ceux qui ne sont pas contents, ce n’est pas par des mots qu’il réussira à leur faire changer d’avis. ‘’Ce n’est pas non plus en s’alliant avec tout le monde. Ce que veulent les gens, c’est du concret, pas de discours vides qui ne leur apportent rien’’.
Par ailleurs, la question qui se pose avec insistance, c’est pourquoi cette propension à dégager les compagnons de la première heure et à pêcher dans les eaux troubles libérales ? Les commentaires vont bon train. Mais, à ce jour, difficile de dire si cela entre dans une volonté de rassembler une famille libérale décimée ou tout simplement pour affaiblir tous ceux qui pourraient gêner son schéma en direction de la Présidentielle de 2024.
Pour rappel, lors de son investiture à la Présidentielle de 2019, le président de l’APR avait eu, malgré le refus du PDS et du Rewmi, l’onction de l’International libéral, dont l’un des brillants responsables en Afrique n’est autre que le secrétaire général et n°1 du Rewmi.