Ancien médiateur de la République, Alioune Badara Cissé est décédé avant-hier samedi, à l’hôpital Principal de Dakar. A 63 ans, sa disparition laisse orphelins le monde de la politique et le barreau sénégalais. Tous pleurent un homme «loyal», «véridique», «raffiné», «affable», «généreux».
Il ne nous fera jamais le bilan de ses six années de médiature. A 63 ans, Alioune Badara Cissé est décédé d’une courte maladie. Avant-hier samedi, alors que la nuit enveloppait doucement la capitale sénégalaise, l’ancien Médiateur de la République s’éteignait dans une chambre de l’hôpital Principal de Dakar, où il était interné. Une nouvelle aussi surprenante qu’inattendue. Une véritable onde de choc.
A l’annonce de sa disparition, une vive émotion s’est emparée du pays. Certains ont pleuré le politique, l’avocat, d’autres le disciple mouride ou simplement l’ami. Les hommages ont plu de partout. Ils sont unanimes à peindre Abc comme un homme de conviction, sincère, bon, dévoué à son pays et amoureux de sa chère ville, Saint-Louis.
C’est là-bas qu’il voit le jour le 16 février 1958. Dans sa ville natale, il débute ses études primaires avant de rejoindre Dakar où il poursuivra ses études secondaires. Passionné d’anglais, il devient le premier lauréat du Concours Général en Anglais du Lycée Seydou Nourou Tall en 1977. L’année suivante, Abc réussit au baccalauréat en série A4 avec une mention Bien. Diplôme en poche, il débute des études de langues étrangères, Anglais et Espagnol, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où il obtient son Deug en langues étrangères appliquées en 1980, avant de prendre les airs pour atterrir en France.
«Brillant orateur, il savait capter et convaincre les auditoires dans et hors les prétoires»
Chez Marianne, il décroche une licence en langues étrangères appliquées de l’Université de Saint-Etienne en 1981. Abc effectue un séjour en Ecosse où il enseigne l’anglais, l’espagnol et le français à Beath High School jusqu’en 1983. Il retourne en France, mais cette fois-ci à Toulouse où il obtient plusieurs diplômes de 1983 à 1986, successivement une licence de Droit International Public à l’Université Sciences Sociales de Toulouse, une maîtrise de langues étrangères appliquées à l’Université Toulouse le Mirail, un diplôme de l’Institut de Sciences Politiques de Toulouse (filière économique et finance) ainsi que deux Diplômes supérieurs (Ds) de Droit économique du transport aérien et développement et coopération technique à l’Institut des Hautes études internationales et du développement de l’université sciences sociales de Toulouse.
De retour au Sénégal, Abc est admis au Barreau de Dakar en 1988, après l’obtention d’une Maîtrise en Droit des Affaires. En 1992, il devient avocat à la Cour. Me Cissé se donne à fond dans sa mission. Avec sa mort, le barreau pleure l’un de ses plus éminents membres. Me Papa Laïty Ndiaye, Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal, ne tarit pas d’éloges à l’endroit de Me Alioune Badara Cissé. «Brillant orateur, il savait capter et convaincre les auditoires dans et hors les prétoires. Lettré et éclectique, doué d’un grand talent d’écriture, il savait aussi triompher par la plume. Tout cela nous manquera, tout comme nous manqueront sa bonne humeur communicative, ses bons mots pour nous dérider, son exquise et urbaine courtoisie, son élégance très saint-louisienne.» Me Sidiki Kaba, ministre des Affaires étrangères : «Me Alioune Badada Cissé, affectueusement appelé ABC, fut un brillant avocat, qui avait une maîtrise rarement égalée de l’art oratoire et qui fut un défenseur de grandes et nobles causes qui impliquent les droits publics, les libertés individuelles et collectives. Il fut un redoutable polémiste qui savait répondre avec subtilité, mais fermeté, à toutes les attaques, défendre ses convictions, son Parti et son mentor.» Toujours en 1992, Abc est bénéficiaire du Hubert Humphrey Followship Programm pour un séjour académique au Minnesota aux États-Unis d’Amérique. Pendant son séjour aux États-Unis, il sera diplômé en leadership et innovation à l’Institut d’Administration Publique de l’université du Minnesota certifié en leadership et innovation et décroche son doctorat en 1999. Il devient ainsi Duris Doctor de Hamline University School of Law à Saint-Paul au Minnesota.
«Un homme de conviction et un brave compagnon»
Fort de son parcours académique et de sa forte personnalité de leader, Abc touche à la chose politique. Au Parti démocratique sénégalais de Me Abdoulaye Wade, il se lie d’amitié avec Macky Sall. Les deux deviennent frères et travaillent ensemble jusqu’au sommet de l’Etat. De 2004 à 2007, Me Cissé va être successivement Conseiller Spécial du Premier Ministre Macky Sall, Directeur de Cabinet du ministre des Sports, Directeur de cabinet du Premier Ministre Macky Sall, Secrétaire général du gouvernement et Commissaire général du gouvernement près le Conseil d’Etat. En 2008, le Pds vit des heures troubles. Me Wade et Macky Sall, alors président de l’Assemblée nationale, sont en conflit. Abc choisit son camp. Il soutient sans réserve son «frère», Macky Sall pour faire face à la puissante machine libérale. Abc est là, loyal et plein de convictions. Ensemble, ils créent l’Alliance pour la république (Apr) et se battent jusqu’à l’accession de Macky Sall à la magistrature suprême en 2012. Abc est aux anges. C’est sans surprise que son nom figure dans la liste du premier gouvernement sous l’ère Macky Sall. Il est le premier ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur sous l’ère Macky en Mars 2012. Il n’y restera que 7 mois. Malheureusement, à l’heure de l’exercice du pouvoir, de fortes divergences ont éclaté entre les frères, même si aucun des deux n’a jamais dit publiquement le fond de cette brouille.
Abc, le «géniteur» de l’Apr, reprend sa robe d’avocat, avant de revenir aux affaires en août 2015 à la médiature de la République, en remplacement de Serigne Diop, pour un mandat de six ans non renouvelables. Durant son magistère, Abc n’a eu de cesse d’alerter le Président sur la situation du pays. La dernière sortie fut la plus remarquée et la plus remarquable. Comme un chef de brigade de pompier au secours d’un Etat au bord du précipice, Abc demande au chef de l’Etat de se ressaisir et d’écouter sa jeunesse. C’était le 7 mars dernier, deux jours après les émeutes qui ont secoué le pays, suite à l’arrestation et au placement en garde à vue, pour troubles à l’ordre public, de l’opposant Ousmane Sonko, en route vers le tribunal de grande instance de Dakar, pour une audition par le juge du 8e cabinet dans l’affaire de viols répétés et de menaces de mort, dont l’accuse Adji Sarr, une masseuse de 20 ans. Alioune Badara Cissé sacrifiait ainsi à sa dernière grande sortie officielle de son mandat de 6 ans à la Médiature de la République. Abc gagne davantage en sympathie pour avoir encore dit des vérités au Président Sall. C’est en Allemagne où il se trouvait quand Abc rendait son dernier soupir que Macky Sall a exprimé son affliction. «Je suis très peiné d’apprendre le décès de Me Alioune Badara Cissé, membre fondateur de l’Apr, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Médiateur de la République. Je rends hommage à un homme de conviction et un brave compagnon.» Moustapha Cissé Lô qui a aussi été du combat témoigne : «Me Alioune Badara Cissé était un plus que frère pour nous. On a eu à mener beaucoup de combats nobles pour la sauvegarde de notre République et de notre démocratie. Fervent talibé de Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul, ABC s’était toujours engagé pour la victoire du parti présidentiel, l’Alliance pour la République, qu’il défendait bec et ongles, mais avec franchise. Il était un membre fondateur de notre parti et travaillait sans relâche pour le triomphe de sa cause. Donc la disparition de cet homme de valeur est une grosse perte pour le parti, mais aussi, pour le Mouridisme.»
«Durant toute sa vie, Abc a accompagné les luttes démocratiques en homme de dignité et d’honneur»
Dans son camp ou dans le camp adverse, les mots sont choisis avec soin et affection pour parler de l’homme politique ou l’avocat. Incontestablement, Alioune Badara Cissé a marqué la vie politique sénégalaise. Khalifa Abacacar Sall, leader de Taxawu Sénégal, écrit sur sa page facebook. «C’est avec tristesse que j’ai appris le décès brutal de mon ami Alioune Badara Cissé. Fidèle en amitié et d’une grande courtoisie, Alioune Badara Cissé a, durant toute sa vie, accompagné les luttes démocratiques en homme de dignité et d’honneur. Ce soir, le Sénégal perd un grand serviteur de l’Etat et l’éloquence son maître. Je salue la mémoire d’un homme pétri d’intelligence, de courage et de loyauté.» Ousmane Sonko, leader de Pastef, farouche opposant au régime de Macky Sall, salue la mémoire de l’homme. «J’ai connu Alioune Badara Cissé par l’entremise de Birame Souleye Diop dont il était l’ami de plus de 25 ans. Un homme cultivé, racé, affable, généreux et d’un raffinement singulier. Il s’était personnellement impliqué pour empêcher ma radiation injuste de la fonction publique en 2016. Par la suite, il s’était également beaucoup impliqué lors des malheureux évènements de février-mars 2021 pour prévenir et éviter l’irréparable. (…). Le Sénégal perd un grand homme avec sa disparition inattendue.»
Au delà de l’homme politique courageux, de l’avocat respecté, Alioune Badara Cissé était aussi un fervent disciple mouride qui a fait son acte d’allégeance au quatrième Khalife de Serigne Touba, Serigne Abdou Khadre Mbacké. Une allégeance renouvelée à Serigne Moustapha Mbacké Abdou Khadre, après le décès de Serigne Abdou Khadre. Hier dimanche, la levée du corps à l’hôpital Principal de Dakar a rassemblé ses proches, amis, frères de parti, avant que le cortège funèbre ne s’ébranle vers Touba où il a été inhumé aux cimetières Bakhiya, au côté de son fils, Abdoulaye Néné Cissé, 27 ans, tué en 2012 aux États-Unis, lors d’un cambriolage, et décédé des suites d’une blessure par balle à la poitrine. Dans sa tombe, il emporte son bilan. Dans le cœur de ses proches, il laisse émotion et chagrin.
Sa maladie, son évacuation à l’Hôpital Principal et ses conseils politiques
Le choc est brutal. Effroyable, épouvantable. Cette soirée du 28 août 2021, le peuple sénégalais s’attendait à tout, ou presque, sauf à l’annonce du décès de Me Alioune Badara Cissé. Surtout que l’état de l’ancien ministre des Affaires étrangères, naguère fragile, était méconnu du grand public. Peu de personne savait que le «Gentleman» était alité et en observation à l’Hôpital Principal de Dakar. Même dans son entourage proche, la terrible nouvelle a eu l’effet d’une bombe. «Je ne savais même pas qu’il était malade. C’est cette nuit (samedi) qu’on m’a appelé pour m’en informer», pleure, au téléphone, un collaborateur, peiné de n’avoir pas eu le temps de rendre visite à son patron qui a été hospitalisé pendant au moins une vingtaine de jours.
D’après ses proches, c’est à son domicile de Touba, où il passe une bonne partie de son temps, que les premières signes de la maladie qui a mis un terme à sa vie, sont apparues. C’est de là-bas, dans la capitale du mouridisme, son refuge préféré, qu’ABC, comme on l’appelle affectueusement, a été évacué le 30 juillet 2021 vers l’hôpital Principal de Dakar où il était admis en réanimation. Une hospitalisation gardée secrète par sa famille qui, à l’image de son chef, n’a jamais voulu ameuté la République.
Nièce du défunt et présidente du mouvement Alliance libérale pour l’unité et la République (Alur), l’ex-députée Fatou Thiam confirme : «Il s’est toujours montré discret sur sa vie privée.» Même s’il a toujours été de bien joyeuse humeur, un peu taquin avec tout le monde, et combattant jusqu’au bout des ongles, ABC est resté fidèle aux normes reçues de la vie sociale. De son éducation à Saint-Louis et des enseignant de Cheikh Ahmadou Bamba. Mouride jusqu’à sa mort, il n’aimait ni ce qui est exagéré ni ce qui est faux. C’est d’ailleurs dans la sobriété que la lavée du corps a eu lieu. Sans pompe ni apparat. Seuls quelques parents, amis proches et personnalités de la République ont pris part à la cérémonie qui s’est déroulée à l’hôpital Principal de Dakar.
«On avait un contact permanent, mais depuis quelque temps…»
Acheminée à Touba, dans l’après-midi, c’est peu avant 19 heures que la dépouille du «Guet-ndarien» a été inhumée au cimetière Bakhiya, aux côtés de son fils Abdoulaye Néné Cissé, jeune militaire tué aux États-Unis le 16 Octobre 2019. «C’était son souhait d’être inhumé à Touba. Tonton Bada est resté toute sa vie fidèles à ses convictions, aussi bien politiques que religieuses. Il était un grand disciple de Serigne Abdou Khadre Mbacké», ajoute Fatou Thiam.
La nièce est restée longtemps nostalgique des conseils et orientations de son oncle. La maladie – même si elle n’a duré que deux mois – avait rendu difficile le contact, avant de le rompre définitivement. «On avait un contact permanent, mais depuis quelque temps, il était alité. C’était un homme digne, plein de vertu. Il m’appelait affectueusement ‘’Ma biche’’. Même si on ne partageait pas toujours la même position politique, il m’a toujours soutenue et encouragée. Il m’a toujours donné de bons conseils par rapport à mes sorties, ma communication. Il était un oncle, un conseiller et une référence. Il a toujours été constant par rapport à ses positions. Nous l’admirions de par sa dignité, ses convictions et sa pertinence. Il a toujours su soutenir sa famille. Il a toujours œuvré pour la cohésion dans la famille», témoigne-t-elle, la voix mélancolique.
«Je n’aurais pas eu le courage de poser les yeux sur lui»
En plus de partager leur Saint-Louis natale, Banda Sarr a cheminé pendant longtemps avec Alioune Badara Cissé. Avant qu’il ne soit avocat, ministre ou Médiateur de la République. Ils ont partagé des moments forts en politique comme dans le mouvement sportif. Banda fait partie du cercle restreint qui était au courant de la maladie d’ABC. En déplacement à Dakar, il y a quelques jours, il a souhaité aller lui rendre visite, mais il n’a pas pu réaliser son vœu. «J’ai voulu le rencontrer parce que je savais qu’il était malade. Mais les conditions ne me permettaient pas de le rencontrer. J’avais le cœur meurtri. Mais, je sais aussi que je n’aurais pas eu le courage de poser les yeux sur lui», pleure-t-il.
Banda Sarr caressait toutefois l’espoir de retrouver son ami sain et sauf. Un espoir que la grande faucheuse a réduit en chagrin. Il confie, des trémolos dans la voix : «ABC était l’incarnation de l’amitié. Il été à la fois très humain et véridique. Il savait partager, ce qui n’est pas évident, les difficultés des gens et cela, en toute heure. Il savait aider dans la discrétion. Il soutenait les démunies et mêmes les nantis.»
Secrétaire général de l’Alliance pour la République «Pensée originelle» (AprPo), Banda soutient avoir perdu un conseil politique, une source lumineuse puissante qui guidait ses positions politiques. «Il a été un conseiller extraordinaire. Son amour pour la patrie était sans commune mesure. Il nous demandait de travailler dans l’intérêt des populations. Il mettait la patrie au-devant de tout. Il nous demandait de ne jamais nous ménager pour notre patrie. Il nous disait de tout faire pour aider, servir, accompagner les populations. Il ne cessait de nous rappeler que c’est un devoir divin», confie-t-il. «ABC ne ménageait aucun effort pour propulser sa ville au-devant de la scène. Et dans tous les domaines. Même le sport. Il a conduit le Saint-Louis Basket club (Slbc) au premier rang. Lorsque Slbc traversait des difficultés, surtout financières, c’est lui qui a pris l’équipe en main», se souvient Banda Sarr qui a accompagné, hier dimanche, le défunt jusque dans sa dernière demeure.
Témoignage de Mamadou Seck, journaliste à L’OBS : Adieu notre compagnon à la Cave du Tribunal de Dakar
Loin de nos familles, nos collègues, amis et proches pour avoir été en privation de liberté, suite à une plainte du ministre des Forces Armées de l’époque, Augustin Tine, pour divulgation de secret d’Etat, Me Alioune Badara Cissé a été notre compagnon durant nos trois jours passés à la Cave du Tribunal de Dakar. En plein mois du Ramadan, Me Alioune Badara Cissé venait tous les jours (du 14 au 16 juillet 2015), à la Cave du Tribunal, jusqu’à la rupture du jeûne pour nous remonter le moral. Et, il attendait toujours que son chauffeur emmène notre ‘’ndogou’’ avant de nous dire au revoir. Et c’est un ‘’ndogou’’ royal avec tout le confort qu’il nous offrait tous les soirs. Ce que nous partagions même avec les autres détenus. Nous n’oublierons jamais votre générosité exemplaire et sans condition. En plus, il faisait même exprès d’évoquer avec nous d’autres sujets d’actualité, rien que pour nous faire oublier les chefs de prévention à l’origine de notre arrestation. Me Alioune Badara Cissé qui a été un élève du père de notre ex-Directeur de publication du Journal L’Observateur, Alioune Badara Fall, avec qui j’ai été déféré au Parquet par la Gendarmerie de la Section de recherches, ne voulait, à aucun moment, lâché le fils de son enseignant. D’autant plus qu’ils partageaient la même ville de Saint-Louis. Un homme disponible, généreux et de commerce facile. Il n’avait pas hésité à sortir de sa maison, lors d’une visite nocturne pour m’accompagner jusqu’à la route, alors qu’il venait d’être nommé Médiateur de la République. Fervent disciple de Cheikhoul Khadim, comme l’atteste une de ses adresses emails «toubalawyer» (avocat de Touba) que la terre de la ville sainte de Touba, dont il était amoureux, lui soit légère.
CODOU BADIANE, AIDA COUMBA DIOP, MAMADOU SECK