Sur fond de tractations politiques et de démonstrations de force du côté du pouvoir, l’opposition, soupçonnée d’avoir contribué au report infini des élections locales, fait face aux reproches. Si la société civile qui siège au Dialogue national soutient que l’opposition faisait un double jeu, cette dernière estime pour sa part que la majorité est l’unique responsable de la forfaiture. Au milieu de ces divergences, des analystes politiques se sont penchés sur les enjeux politiques de telles frictions électoralistes.
Comme un éternel bras de fer ! Le troisième report des locales continue de jeter ses étincelles sur le terrain politique. Cette fois avec, sur le banc des accusés, l’opposition siégeant à la commission politique du dialogue national. Pourquoi diable cette opposition a-t-elle joué le tempo de la majorité présidentielle ayant conduit à cet énième report ? Qu’est-ce qui est reproché à ces acteurs qui se disent pourtant opposés à la démarche du pouvoir au sujet du report des échéances locales ? Birahim Seck, coordonnateur d du Forum civil, est formel quant à la complicité des opposants dans cette cacophonie électorale. « Dès le début, au lendemain de présidentielle, l’opposition a toujours été d’accord pour reporter les élections locales. Nous de la société civile, par principe, nous avons toujours affiché notre position qui était contre tout report des échéances. D’ailleurs, au sein de la commission politique dans laquelle nous siégeons, nous avions toujours dénoncé cette attitude des acteurs de l’opposition », s’est désolé d’emblée le coordonnateur du Forum civil. A l’en croire, d’ailleurs, la suggestion que lui et ses camarades avaient faite à l’endroit de la classe politique, c’était que chaque formation s’assume dans l’organisation de l’élection. « Que ça soit le camp du pouvoir où celui de l’opposition, nous leur avions demandé de s’assumer en ayant chacun un représentant dans les bureaux de vote et à surveiller tout le processus de modification exécuté sur le fichier électoral. Et nous avions ajouté également que, pour qu’il y ait un scrutin libre et transparent, il fallait que l’organisateur ne soit pas un partisan du pouvoir », fait savoir M. Seck, déclinant les conditions mises sur la table de négociation par la société civile en vue des élections à date échue. Au sujet du refus de l’opposition d’un report de ce scrutin jusqu’au 23 janvier 2022 (date proposée par le pouvoir) et son retrait de la table des négociations, le patron du Forum civil parle de « jeu politicien ». A l’en croire, il s’agit tout simplement pour les opposants de faire semblant de croire qu’ils ne sont pas d’accord. « Car, quand il ne fallait pas être d’accord en commission, aucun d’entre les membres de l’opposition n’avait levé le petit doigt. Ils parlaient d’audit du fichier et d’évaluation en proposant même au gouvernement de reporter les élections. Mais nous, de la société civile, notre position n’a jamais varié », soutient le coordonnateur du Forum civil, Birahim Seck.
Quand l’opposition et la société civile se renvoient la balle !
Si pour Birahim Seck, la faute du report ad aeternam des élections locales est à imputer à l’opposition, Aliou Sarr, le représentant de cette frange au Dialogue national, met à l’index pour sa part la société civile. Selon lui, la responsabilité du premier report incomberait principalement au pouvoir qui aurait agi de façon unilatérale. Toutefois, pour le deuxième, soutient-il, la décision a été prise à l’unanimité au sein de la commission du dialogue politique. « En même temps que l’opposition et le camp des non-alignés, la société civile elle-même était d’avis qu’on repousse les échéances. Car, il s’agissait pour nous de réunir les conditions de l’organisation d’une élection libre et transparente. Et c’est en ce sens que toutes les parties présentes au niveau de la commission étaient convenus de repousser les locales jusqu’à la date du 28 mars 2021 au plus tard », se justifie le plénipotentiaire de l’opposition au sein de la commission du dialogue politique. En ce qui concerne le énième report à l’origine des tensions notées actuellement sur la scène politique, le représentant du Front de résistance nationale (Fnr) convoque l’obstacle lié à la pandémie qui aurait justifié la résignation de l’opposition face à la volonté du pouvoir de ne pas tenir ce scrutin aux dates convenues antérieurement. Mais, indique M. Sarr, « nous avons démontré que, techniquement, il est possible d’organiser les élections en cette année 2021 et précisément au mois de décembre. Autrement dit, à partir du 1er avril, on peut entamer l’évaluation du processus électoral et le terminer en fin mai. La deuxième phase importante c’est la revue du code électoral comme le mode d’élection des maires qui peut se faire en un mois. Et enfin la troisième c’est la révision exceptionnelle des listes électorales qui peut se réaliser en l’espace de deux mois comme l’a confirmé l’administration », estime Saliou Sarr, coordonnateur des plénipotentiaires de l’opposition au Dialogue national.
Moudiaye Cissé de l’ONG 3D: « Le dialogue souterrain a conditionné le dialogue manifeste »
Directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, partie prenante du Dialogue national, soutient que la société civile et les non-alignés n’ont été que des figurants des pourparlers politiques à l’origine du sempiternel report des élections locales. A l’en croire, les divergences qui règnent au sein de l’opposition seraient la principale cause de la forfaiture dans le processus électoral. « Ce que tous ces reports révèlent est le fait que, même au sein de l’opposition, il y a de sérieux problèmes. Et quand surtout l’histoire nous révèle que le principal opposant du pouvoir au lendemain de la présidentielle était en train de négocier ailleurs avec le président Macky Sall, pendant deux ans et sur un autre objet, pour finalement aller rejoindre ce dernier, cela montre que l’opposition souffre d’un conflit d’agendas politiques. Et c’est pourquoi, actuellement, même pour discuter, les gens de l’opposition ne se font pas confiance », constate la figure de proue de la société civile, Moundiaye Cissé. Selon qui, le dialogue souterrain conditionnait le dialogue manifeste. Justifiant l’implication de l’opposition dans ces reports d’élections, le directeur de l’ONG 3D souligne que les leaders des partis politiques ne sont pas si intéressés par les échéances locales mais plutôt par la présidentielle et les législatives. Parce que, poursuit-il, à part le parti au pouvoir, les autres partis ont comme priorité la présidentielle. « D’ailleurs, c’est pourquoi ils crient actuellement de toutes leurs forces car se disant que ce report des locales peut entrainer celui de la présidentielle. Or, si l’Etat a pu reporter ces locales à plusieurs reprises, c’est parce qu’aussi quelque part, l’opposition est dans le jeu. Et malheureusement cette situation aura des conséquences fâcheuses sur tout le processus électoral. Peut-être même que l’opposition, qui a une part de responsabilité dans cette série de reports, n’avait pensé à cela », avertit Moundiaye Cissé d’après qui le processus électoral est actuellement pris en otage par les acteurs politiques. Analysant les enjeux politiques qui se jouent à travers cet éternel report des locales, les journalistes Momar Diongue et Ibrahim Bakhoum se disent convaincus que l’opposition a été bluffée par le pouvoir.
Le pouvoir se saisit de la perche tendue par l’opposition !
« Depuis le lendemain de la présidentielle de 2019, le président Macky Sall n’a jamais été dans une logique d’organiser des élections. D’ailleurs à l’époque, son Premier ministre, interpellé sur la question, avait soutenu que le Sénégal n’avait pas la capacité d’organiser deux élections dans la même année. Et n’étant pas dans la dynamique d’aller à des échéances, les gens du pouvoir ont saisi la perche que leur a tendue l’opposition en exigeant l’audit du fichier électoral et l’évaluation du processus électoral », analyse le journaliste Momar Diongue. Avant d’ajouter : « Et présentement, l’enjeu politique autour des querelles au sujet de ce énième report, est le fait que l’opposition vient de créer un rapport de forces favorable face au pouvoir à travers l’affaire Sonko-Adji Sarr. Etant sortie ragaillardie de cette dynamique triomphante, l’opposition veut surfer sur cette vague pour pouvoir gagner le maximum de villes lors des élections locales. Par contre, pour le camp du président Macky Sall, la manœuvre est surtout de repousser les échéances le plus loin possible pour que la dynamique positive de l’opposition se casse en attendant qu’il ait, lui, le temps de reprendre son souffle pour faire face à l’opposition ».
De son côté, Ibrahim Bakhoum voit également à travers ce bras de fer politique, une course de fond imposée à l’opposition par la majorité présidentielle. Selon l’analyste politique, depuis que le pouvoir a perdu la bataille de l’opinion lors des derniers évènements qui ont secoué le pays, il est question pour lui de se rattraper sur le plan de la communication en organisant des meetings politiques tous azimuts pour remobiliser ses troupes.
Avec Le Témoin