Affaire Huawei: pourquoi les Chinois font-ils si peur?

Dans la guerre commerciale qui les oppose, la Chine et les Etats-Unis ont décidé d’une trêve jusqu’à mars prochain. Mais depuis une dizaine de jours, un nouvel épisode met le feu aux poudres : l’arrestation au Canada d’une responsable de Huawei, le leader chinois de l’équipement téléphonique.

Whanzhou Meng a été libérée sous caution par la justice, mais les Etats-Unis demandent toujours son extradition pour son implication présumée dans un contournement des sanctions contre l’Iran. De plus, la Chine menace de représailles et il est difficile de ne pas y voir un énième épisode de la bataille pour la suprématie technologique entre les deux puissances.

Les déboires de Huawei rappellent ceux de ZTE, un autre géant chinois qui en avril dernier se voyait interdire par Washington l’accès aux indispensables microprocesseurs américains.

Changement d’échelle

Huawei, c’est le leader mondial de l’équipement télécom, qui en plus, cette année, a supplanté l’américain Apple comme fabricant de téléphones. La rivalité technologique des Etats-Unis et de la Chine a ainsi atteint un point critique. Huawei, avec ZTE, c’est le fer-de-lance de la Chine dans son ambition de dominer mondialement la 5 G en particulier… Ce nouveau standard de la téléphonie qui va permettre le développement de l’internet des objets, relier les humains, les voitures, les machines, et les infrastructures en général.

Les Chinois ont les moyens de leurs ambitions. Le président Xi Jinping, via son plan « made in china 2025 », veut déployer la 5G à grande échelle en 2020. Et Huawei est incontournable, étant la seule compagnie au monde aujourd’hui à pouvoir déployer totalement toute la chaîne du réseau 5G, tout cela à un coût maîtrisé.

L’ambition chinoise est mondiale avec le projet de développement des infrastructures dites des « nouvelles routes de la soie ». L’Etat chinois et le secteur privé investissent des dizaines de milliards de dollars par an. Dans la recherche et le développement de la 5G et de l’intelligence artificielle, mais aussi dans les capacités pour ne plus dépendre des composants étrangers, en particulier américains.

Et puis, il y a ces milliards de dollars investis dans des start-ups notamment dans la Silicon Valley. C’est d’ailleurs ce qui a réveillé peu à peu les craintes. Les services de renseignements américains ont régulièrement alerté sur la facilité avec laquelle la Chine a pu investir dans des jeunes pousses californiennes spécialisées dans l’intelligence artificielle, les véhicules autonomes, et s’accaparer leur savoir-faire technologique. Un sujet qui est au cœur des discussions commerciales en ce moment.

La sécurité nationale en jeu

Concernant la 5G, les Etats-Unis ont exclu Huawei du marché américain, invoquant la sécurité nationale. Car avec cette technologie, les risques seraient plus importants de voir le matériel détourné par Pékin à des fins d’espionnage.

D’ailleurs, les Etats-Unis ont invité leurs alliés à en faire autant et à exclure les Chinois de la 5 G. Pour préserver la sécurité de leurs infrastructures, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont aussi fermé le marché des fréquences 5G aux Chinois. Au Royaume-Uni, l’opérateur historique vient de faire la même chose après une enquête lancée sur la sécurité du réseau.

En Allemagne, où Huawei est également présent dans le cœur du réseau 4G via sa coopération avec Deutsche Telekom, le débat prend de l’ampleur à l’approche de l’ouverture des enchères sur les fréquences 5G.

La France, n’est pas très audible sur le sujet et pourtant, Huawei est partout ou « presque partout ». Tous les opérateurs, sauf Free, ont recours à de l’équipement de chez Huawei.

Officiellement, Paris ne lui ferme pas la porte, au contraire. Un cinquième centre de recherche financé par Huawei a ouvert à Grenoble cette année. Avec Huawei, l’opérateur Bouygues Telecom a expérimenté la 5G grandeur nature à Bordeaux cet été. Mais la France se dit « vigilante », en particulier en ce qui concerne les infrastructures sensibles de la région parisienne.

Comme Washington, Paris n’oublie pas que le fondateur de Huawei (et père de la dirigeante arrêtée au Canada) est un ancien membre de l’armée chinoise. Que même s’il est un groupe privé, Huawei est un des nombreux outils de la Chine pour s’assurer la puissance économique et militaire. Et que même si en ce moment les Européens ont tant besoin des investissements étrangers pour développer leur propre savoir-faire technologique il ne faut pas y sacrifier la sécurité nationale.

Le débat sur une stratégie à l’échelle européenne ne fait que commencer. Elle ne sera arrêtée que l’année prochaine à Bruxelles.

 

 

rfi