Au Rwanda, le verdict dans l’affaire Paul Rusesabagina est prévu pour le 20 septembre. Cet opposant à Paul Kagame, devenu célèbre pour savoir sauvé plus d’un millier de personnes lors du génocide des Tutsi, est jugé à Kigali pour terrorisme depuis février 2021. Il encourt la prison à perpétuité. Retour sur un procès hautement polémique.
De notre correspondante à Kigali,
Tout commence par une arrestation rocambolesque. Ou plutôt un « enlèvement », si l’on en croit les proches de Paul Rusesabagina. Le 27 août 2020, l’ancien manager de l’Hôtel des mille collines, qui réside alors aux États-Unis, entreprend un voyage vers le Burundi avec une escale à Dubaï. Sa famille ne parvient plus à le joindre. Quatre jours plus tard à Kigali, les autorités rwandaises le présentent menotté à la presse.
Le président Paul Kagame précisera rapidement que l’opposant a été « dupé », avant que l’ancien ministre de la Justice, Johnston Busingye, n’admette que Kigali a facilité et même financé le vol qui l’a mené des Émirats arabes unis au Rwanda. Paul Rusesabagina serait donc monté dans un jet privé de son plein gré, mais serait arrivé à Kigali au lieu de Bujumbura. Selon le chef de l’État rwandais, c’est une opération « irréprochable » qui n’a été entachée par aucun « acte répréhensible » ; mais pour la défense de Paul Rusesabagina, cette arrestation, à défaut d’une demande d’extradition en bonne et due forme, a décrédibilisé le processus judiciaire dès le début.
Inculpé pour terrorisme
Le procès commence six mois plus tard, en février 2021. Paul Rusesabagina est accusé d’être impliqué dans des attaques ayant eu lieu dans le sud du Rwanda en 2018, revendiquées par un groupe rebelle appelé le FLN. Selon les autorités rwandaises, elles ont fait neuf morts. Paul Rusesabagina fait face à neuf chefs d’accusation, dont « terrorisme » et « formation d’un groupe armé ». Son dossier est joint à celui de vingt coaccusés, tous suspectés d’être membres du FLN.
Longtemps connu pour ses positions modérées et ses appels au dialogue et à la réconciliation, Paul Rusesabagina semble s’être radicalisé, comme de nombreux autres opposants en exil, après le troisième mandat de Paul Kagame entamé en 2017. La même année son parti, le PDR, s’allie à d’autres groupes d’opposition pour former le Mouvement rwandais pour un changement démocratique (MRCD), dont le FLN est alors présenté comme le bras armé. Dans une vidéo datée de fin 2018, quelques mois seulement après les attaques dans le sud du Rwanda, Paul Rusesabagina apporte son soutien au FLN et présente la lutte armée comme le seul moyen de renverser le gouvernement de Paul Kagame, qu’il accuse de graves atteintes aux droits de l’homme.
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Ses proches dénoncent un procès politique
Cependant, l’ancien manager de l’Hôtel des mille collines a toujours rejeté toute responsabilité directe dans les attaques pour lesquelles il est mis en cause. « Je ne nie pas que le FLN ait commis des crimes, mais mon rôle au sein du MRCD était limité à la diplomatie » a-t-il déclaré lors d’une audience préliminaire en septembre 2020, précisant que chaque section de la plateforme MRCD agissait de manière indépendante par rapport aux autres.
Très vite, les proches de l’opposant dénoncent un procès politique visant à museler une des dernières voix critiques du régime de Paul Kagame. Ils pointent de nombreuses atteintes aux droits de la défense. Human Rights Watch note que « le retour à première vue forcé et illégal de Rusesabagina au Rwanda s’inscrit dans un contexte de répression bien documenté des critiques du gouvernement rwandais, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ». Le Parlement européen et la Belgique expriment également des préoccupations sur les conditions de son arrestation et l’équité de la procédure. Paul Rusesabagina, lui, boycotte les audiences à partir du mois de mars.
De son côté, le gouvernement rwandais défend depuis le début sa légitimité à juger de cette affaire : « Notre système judiciaire a prouvé sa capacité et son expérience. Il n’y a pas de raison pour qu’il soit jugé ailleurs. Plusieurs juridictions ont déjà transféré des dossiers vers Kigali : le Tribunal pénal international pour le Rwanda, mais aussi certains pays européens », avance Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement. « Ce procès, c’est tout simplement une question de justice et de protection des Rwandais. Les victimes de ces attaques demandent réparation. » Elle assure que des éléments prouvant qu’il donnait des ordres directs au FLN ont été trouvés chez lui lors d’une perquisition faite par les autorités belges.
Une affaire inédite
L’affaire Rusesabagina est assez inédite dans l’histoire de la justice rwandaise, de part l’ampleur du dossier – environ 10 000 pages de documents, une cinquantaine de parties civiles – et la renommée internationale du principal accusé. Au cours de près de six mois d’audience, l’accusation a présenté ses témoins.
Un certain Noël Habiyaremye, présenté comme un ancien haut-gradé des FDLR, un groupe rebelle hutu basé dans l’est de la RDC, affirme à la barre que Paul Rusesabagina lui aurait envoyé plus de 8 000 dollars afin qu’il recrute des combattants ; Michelle Martin, une citoyenne américaine se présentant comme une ancienne volontaire de la Fondation de Paul Rusesabagina, assure qu’il entretenait des liens étroits avec des groupes hutus extrémistes, voir négationnistes du génocide des Tutsis. Mais la crédibilité de son témoignage sera vite questionnée : vers la fin de l’audience, elle avoue avoir travaillé pour le gouvernement rwandais. Et c’est finalement, l’ancien porte-parole du FLN, Callixte Nsabimana, qui apporte un témoignage en sa faveur lors de ses remarques finales à la cour : « Il n’a jamais fait partie du FLN. C’est un civil, pas un soldat » lance-t-il.
« Le parquet n’a montré aucune preuve crédible de l’implication de mon père dans ces attaques. Il n’a jamais cru en la violence. Tout cela est inventé » assure pour sa part Carine Kanimba, la fille adoptive de l’opposant. « Pour nous, cette décision de justice ne signifiera rien. Il a été kidnappé, torturé, on l’a privé de tous ses droits », conclut-elle.
RFI