C’est une des sections parallèles mythiques du Festival de Cannes qui ouvrira cette semaine ses portes. Née il y a cinquante ans, la Quinzaine des réalisateurs promet depuis 1969 des visions et des frissons. À partir du 25 mai, le nouveau délégué général Paolo Moretti assure un renouveau de cette prestigieuse tradition cinématographique d’encourager l’audace des images du futur. Cette année au programme, des cinéastes aussi extraordinaires comme le Philippin Lav Diaz, le Français Quentin Dupieux ou le Tunisien Ala Eddine Slim, sans parler de l’exposition-installation en réalité virtuelle conçue par la chanteuse et performeuse multimédia américaine Laurie Anderson. Entretien avec Paolo Moretti sur la programmation, une éventuelle poussée de films nord-africains et la question sensible des films Netflix à Cannes.
RFI : Avec vous en tant que nouveau délégué général, de quelle façon la ligne éditoriale de la Quinzaine des réalisateurs changera ?
Paolo Moretti : Cela sera au public à décider comment la ligne éditoriale aura changé ou pas. C’est un travail collectif. Avec les comités de sélection, j’essaie que la Quinzaine des réalisateurs garde son rôle : apporter quelque chose de plus, de nouveau, de faire de nouvelles propositions. Ce n’est pas une rupture avec le passé, au contraire, pour moi, ce qui est intéressant, c’est de garder un lien avec l’origine et l’histoire glorieuse de la Quinzaine.
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Le Daim ouvrira la Quinzaine. Le film de Quentin Dupieux, est-il emblématique pour cette édition 2019 ?
C’est un artiste très singulier dans le panorama français. Il n’a pas un parcours traditionnel d’apprentissage de cinéma. C’est un autodidacte. Il fait aussi de la musique électronique. Il a une vision profondément originelle sur le cinéma. Depuis ses premières expériences avec le cinéma, avec chaque projet, il s’est réinventé, il a cherché de nouveaux codes, il a travaillé dans des univers très spécifiques pour chacun de ses projets. Il est dans une démarche d’exploration perpétuelle. Avec Le Daim, il touche à des codes de genres particuliers, sans faire une reproduction d’un film de genre. C’est un des films difficilement classables qu’on a sélectionnés à la Quinzaine.
Seize parmi les vingt-quatre réalisateurs viennent pour la première fois à Cannes. Avez-vous découvert de nouvelles écritures cinématographiques ?
Oui et c’est ce que nous recherchons à la Quinzaine. Nous avons une sensibilité particulièrement marquée pour les artistes qui mènent des recherches et qui font des paris en termes d’évolution de narration par l’image en mouvement. Et c’est cela qu’on va trouver dans plusieurs des films, mais de façon complètement différente.
Lav Diaz, réalisateur philippin et Lion d’or de 2016, programmé à la Quinzaine avec The Halt, un film de 4h36, est l’un des cinéastes qui suscitent chez vous l’enthousiasme.
Pour moi, c’est l’un des plus grands, parce qu’il a une façon extrêmement unique de combiner et mêler une dimension qui est profondément, intimement et puissamment politique. C’est à l’origine de sa démarche en tant que cinéaste. Avec une sensibilité pour le temps qui n’a d’égal. Peut-être, parce qu’il lit la matière « temps » dont le cinéma est fait d’une façon complètement unique. En travaillant le temps, il travaille aussi les découpages. Chez lui, les découpages sont en dialogue perpétuel avec la durée. Sa sensibilité pour le temps et l’espace est le trait d’un immense réalisateur. C’est une chance et un honneur de pouvoir l’accueillir pour la première fois à la Quinzaine.
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Vous proposez Tlamess du réalisateur tunisien Ala Eddine Slim à la Quinzaine. C’est l’un des nombreux réalisateurs nord-africains programmés au Festival de Cannes : par exemple l’Algérienne Mounia Meddour et la Marocaine Maryam Touzani dans Un certain regard de la sélection officielle, le Marocain Alaa Eddine Aljem, l’Algérien Amin Sidi-Boumédiène etl’Égyptienne Nada Riyadh à la Semaine de la Critique, les Tunisiens Mehdi Hemili et Abdallah Chamekh et l’Egyptienne Reem Morsi sont invités à la Fabrique Cinéma. Peut-on parler d’une poussée du cinéma maghrébin et nord-africain ?
Je suis toujours très prudent quand il s’agit d’une analyse de systèmes. Je ne peux que me réjouir d’une présence si remarquable du cinéma africain. Parce qu’il s’agit vraiment d’écritures profondément originelles et contemporaines. Je m’en réjouis profondément, mais je n’ose pas une analyse qui va au-delà de cela, parce qu’il s’agit chaque fois d’une situation différente et il est difficile de les rapprocher.
Qu’est-ce que cela signifie quand vous évoquez par rapport à Tlamess « une nouvelle façon d’interroger la masculinité » ?
Pour cela, il faut voir le film [rires]. Il y a une recherche et une sensibilité particulière chez certains à interroger les conceptions enracinées qui créent des modèles et des comportements. Il s’agit d’un questionnement de l’essence des principes masculin/féminin avec des implications politiques non négligeables.
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La réalité virtuelle est présente à la Quinzaine sous forme de trois expositions/installations conçues par Laurie Anderson et Hsin-Chien Huang. Il n’y a pas encore de film en réalité virtuelle à la hauteur de la Quinzaine ?
Pour moi, les trois travaux sont accueillis avec tous leurs aspects dans le programme de la Quinzaine des réalisateurs. Je ne les considère pas ni comme supérieures ni comme inférieures aux films qu’on présente. Donc, il s’agit de trois travaux qui utilisent la réalité virtuelle comme matière, et c’est actuellement une des frontières de la narration par images. C’est juste une autre mécanique, une autre méthode. Pour l’instant, ce sont des expériences où les contraintes technologiques ne permettent pas encore à les proposer dans une salle de cinéma.
Lors de la présentation du Festival de Cannes, le délégué général Thierry Frémaux a déclaré qu’aucun film ne peut être en lice pour la Palme d’or, s’il n’a pas de sortie en salles en France. Quelle devrait être selon vous la règle d’or d’un festival de cinéma par rapport à Netflix ?
Je pense qu’il y a beaucoup de confusion autour de cela. Déjà, la règle sur la sortie en salles obligatoire est réservée aux films en compétition. Donc, théoriquement, tout le reste de la programmation reste ouvert aux films de Netflix. Au niveau de la Quinzaine des réalisateurs, on reconnait évidemment qu’au niveau français la question Netflix pose des soucis particuliers, parce que le système actuel est très efficace dans la défense de la diversité du cinéma et des réalisateurs. Donc, la présence d’un acteur comme Netflix pose des problèmes par rapport à la logique de ce système. Nous, en tant que Quinzaine des réalisateurs, nous souhaitons que la présence de Netflix soit normalisée le plus vite possible pour qu’on puisse montrer les travaux des réalisateurs. On souhaite que les réalisateurs ne deviennent pas les premières victimes de cette période de transition. Donc, nous montrons les films Netflix.
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Mais, dans le cas spécifique de Wounds [long métrage du réalisateur britannico-iranien Babak Anvari en sélection à la Quinzaine 2019, ndlr], ce n’était même pas une volonté. C’était un film sur lequel on était en négociation depuis des mois. On a eu nous-mêmes la nouvelle une dizaine de jours avant l’annonce de la programmation de la Quinzaine que le film a été acquis par Netflix. Ils ont choisi de respecter les accords déjà en place entre nous et les réalisateurs et les producteurs et de permettre ainsi au film d’être projeté à Cannes. Il n’y avait aucune envie de notre part de polémiquer en invitant un film Netflix à Cannes. C’est le film qui nous intéressait et il se trouve qu’il a été acquis très tardivement par Netflix.
Mais, ce n’est pas la première fois qu’on montre à la Quinzaine un film qui n’a pas spécialement la vocation d’être montré en salles. C’était aussi le cas de P’tit Quinquin [mini-série en quatre épisodes, sélectionnée à la Quinzaine au Festival de Cannes 2014 et diffusée ensuite sur Arte, ndlr], sans faire le bruit qui règne aujourd’hui autour de Netflix. Donc, on est ouvert aux discussions et on ne fait pas semblant de ne pas voir le problème. Il faut en discuter, de façon collégiale, mais entre-temps, on montre les films.
rfi