Cinéma: «The Ride», une chevauchée pour la mémoire, une leçon de vie

Sur les écrans à partir de ce mercredi, «The Ride» de Stéphanie Gillard, est une invitation au voyage. Un voyage historique, anthropologique au cœur de la réserve sioux de Standing Rock dans le Dakota du Sud et une aventure humaine aux côtés d’un peuple qui revendique son histoire pour mieux construire son avenir. Comment à partir d’un drame, le massacre de Wounded Knee, créer une aventure collective, difficile mais joyeuse ? C’est l’histoire de ce documentaire.

Une chevauchée de 450 km dans le froid et parfois la neige, en plein hiver, pour ne pas oublier l’ethnocide dont furent victimes leurs ancêtres mais aussi pour affirmer leurs valeurs et leur culture et rester debout. Au départ, il y eut le massacre de Wounded Knee. Le film s’ouvre sur un magnifique travelling sur des montagnes figées dans le froid et une route couverte de poudreuse balayée par le vent. Un texte rappelle ce que fut Wounded Knee: le massacre de près de 350 Indiens Sioux Lakota, hommes, femmes, enfants et vieillards, désarmés, par le septième de cavalerie en décembre 1890. Les mots s’effacent comme balayés par le vent glacé. Mais le souvenir de cette tragédie lui ne s’efface pas en raison de la volonté d’une poignée de Lakota qui, chaque mois de décembre, organisent une chevauchée en souvenir des âmes des disparus qui ont rejoint la Voie lactée, explique à sa petite fille, Ron His Horse is Thunder, descendant d’un fils adoptif de Sitting Bull et l’un des hommes d’orchestre de cette marche.

Les corps des Indiens Sioux massacrés à Wounded Knee sont évacués par charrettes. Ils seront enterrés dans des fosses communes, décembre 1890, Dakota du SudDe Agostini Picture Library/Getty

Le cheval et l’homme

Stéphanie Gillard, la réalisatrice, a effectué de nombreux voyages dans la réserve de Standing Rock d’où viennent des protagonistes de la marche et a participé à plusieurs chevauchées. Silhouettes épaissies par les nombreuses couches de vêtements protectrices, hommes, femmes et enfants s’affairent autour des chevaux. Le cheval, animal totem encore de ces indiens. Soyez bons et attentifs à vos chevaux et à vos camarades, enjoignent les accompagnateurs aux enfants. Ces mêmes enfants qui regardant Little Big Man, le célèbre film d’Arthur Penn, dans la voiture, reconnaissent au premier coup d’oeil les chevaux à leurs robes et s’extasient sur leur beauté. Des chevaux, dans le film de Stéphanie Gillard, dont la robe d’hiver pelucheuse fume dans le soleil couchant à la fin d’une journée de marche. Magnifiques images de Martin de Chabaneix.

Les enfants sont au cœur du film parce que la chevauchée est d’abord faite pour eux. Les participants viennent avec leurs enfants, des jeunes de leur famille ou de leur entourage. Cette chevauchée est un camp d’apprentissage des valeurs de leur culture, une école de survie et de vie aussi. Un apprentissage du courage physique (rester une journée sur un cheval par un froid glacial, ça vous forge le caractère), de la sagesse (respect de son cheval et de ses compagnons), du partage. Faire corps avec les siens aussi dans le chant. Très belles séquences de chants avec les enfants qui apprennent à s’écouter pour ne plus chanter que d’une seule voix sous la houlette du débonnaire A. Jay en Sister Act (Woopy Golberg) improvisée, ou encore, chants des adultes et enfants mêlés au son des tambours.

Ronde de chants à la veillée. Coup de chapeau à la musique du film, chants traditionnels, chants country ou compositions originales de Vincent Bourre.rouge-distribution.com

Des enfants qui s’initient aux traditions de leurs peuples tout en étant des enfants d’aujourd’hui. Ils savent seller des chevaux et apprennent à les débourrer, sont capables d’attraper leurs bottes au lasso pour ne pas sortir du duvet douillet mais ont aussi une oreille ornée d’un énorme faux diamant façon chanteur de hip hop (musique -avec la country- qu’ils écoutent beaucoup, confie Stéphanie Gillard), se désolent quand la batterie de leur téléphone portable les lâchent ou piquent une colère quand la petite sœur flingue la Playstation. Ce sont bien des adolescents, tantôt sages tantôt chahuteurs, souvent moqueurs y compris sur eux-mêmes. Une caractéristique de ce peuple, explique la réalisatrice, son humour. Et les scènes drôles ou cocasses ne manquent pas.

Jessie et Jimmy

Jessie est avec son père Jimmy l’un des personnages que suit la caméra de Stéphanie Gillard dans le docuentaire «The Ride».rouge-distribution.com

Dans sa galerie de personnages, Stéphanie Gillard s’est particulièrement attachée à l’espiègle Jessie et à son père Jimmy. Avec son chapeau à plume et sa voix éraillée, Jimmy a un côté gueule cassée. Un homme abîmé par la vie, passé par la case prison, et qui se livre par instant à la caméra. Jimmy, surnommé « angry bird » par ses compagnons, la chevauchée l’a remis sur pied, explique Stéphanie Gillard, qui a vu l’homme évoluer au fil de ses rendez-vous avec le groupe. « Quand j’ai des moments durs, je repense à la chevauchée », explique Jimmy dans le film, à la chevauchée comme collectif, famille et comme ligne de conduite. « Il n’y a pas que les gamins qui changent, les adultes aussi », reprend la réalisatrice qui raconte comment Jimmy a été actif dans la mobilisation contre la construction du Dakota Access Pipe Line. Il a d’ailleurs été inculpé de plusieurs charges fédérales et encourt jusqu’à 15 ans de prison. Ron His Horse is Thunder, avocat dans la vie civile, est également en pointe dans ce combat.

De la mémoire des ancêtres aux mobilisations actuelles pour pouvoir préserver leur territoire et vivre dignement sur leurs terres, des enfants malicieux aux anciens qui racontent le soir à la veillée les histoires du temps passé et pourquoi il est important de ne pas oublier les valeurs du groupe, le film effectue un va et vient permanent entre le passé et le temps présent dans lequel tous sont ancrés même s’ils n’y ont pas une place de choix. Trouver leur place dans ce monde est de leur responsabilité, explique Manaja, vétéran du Vietnam, un autre des anciens de la marche, aux enfants de son groupe. « Ce que tu as appris dans la marche, ne pas plier devant les difficultés et l’effort, tu dois le transposer dans ta vie quotidienne, dit Manaja à un adolescent. De la même manière que tu es tombé de cheval plusieurs fois et à chaque fois remonté en selle, à l’école, tu feras pareil pour avoir un bon boulot qui te plaise et ne pas dépendre de l’aide sociale »…

Une école de responsabilité filmée avec beaucoup d’empathie et dans des conditions épiques, sur toute la durée de la chevauchée soit quinze jours, par la petite équipe du film. Ce sont les livres de Jim Harrison et le magnifique recueil de photographies de Guy le Querrec, Sur la piste de Big Foot, qui ont été à l’origine de cette aventure humaine et cinématographique, nous explique Stéphanie Gillard. Une aventure dont il sans doute impossible de tourner la page pour la réalisatrice qui a déjà à son actif plusieurs documentaires, notamment diffusés sur la chaîne Arte. Les images de ces cavaliers se détachant sur les collines herbeuses des Black Hills, couvertes de plaques de neige, longeant les barbelés qui fracturent leur territoire, parfois en butte à l’hostilité et au racisme des fermier blancs raconte la réalisatrice, font écho à nos lectures d’enfant et d’adulte, aux films sur la «conquête de l’Ouest». Une chevauchée de 450 km, une école de survie mais surtout une formidable leçon de vie.

RFI