des avocats inscrits au barreau de Dakar sur le projet de loi n° 20/2019, modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965, portant criminalisation du viol et de la pédophilie. Une loi qui a été votée le vendredi 27 décembre dernier, à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Propos recueillis…
Me Moussa Sarr : « Je félicite l’État du Sénégal pour cette mesure de criminalisation du viol et de la pédophilie. Les délits de viol et de pédophilie ont pris des proportions inquiétantes au Sénégal. Et il fallait prendre une décision ferme pour affirmer la volonté de l’État de lutter contre ces actes ignobles et indignes. Les femmes et les enfants constituent l’avenir de notre pays et ils méritent d’être protégés davantage. Par ailleurs, au vu de la sévérité des sanctions encourues par les présumés délinquants, j’invite tous les acteurs judiciaires intervenants dans la chaîne pénale à faire davantage preuve de discernement pour éviter d’éventuelles erreurs judiciaires, qui pourraient causer des préjudices incommensurables à ces citoyens en conflit avec la loi ».
Me Ciré Clédor Ly : « Il ne faut pas se servir de la pression populaire pour faire voter une loi. En matière de viol, des innocents sont souvent condamnés, parce qu’on n’arrive toujours pas à avoir la mesure d’expertise. Quand on n’a pas les moyens de sa politique pénale, on doit faire attention lorsqu’on légifère. Il faudrait d’abord s’entourer des moyens techniques et scientifiques qui pourraient minimiser les erreurs judiciaires. Moi, je ne suis pas satisfait de la manière dont la justice est rendue au Sénégal. Le procureur a l’opportunité des poursuites et le choix de la procédure (comparution immédiate, citation directe ou information judiciaire). Avec la définition de la pédophilie, en tant qu’infraction, on se trouve dans des situations où les contours du délit peuvent ouvrir la porte à tous les travers. Parce qu’une simple caresse pourrait être ambiguë, car pouvant être considérée comme purement affective ou perverse. Criminaliser la pédophilie, constitue un excès. Même si les pédophiles, si une fois les faits sont avérés, ne peuvent pas être excusés ».
Me Assane Dioma Ndiaye : « Beaucoup de féministes avaient souhaité une plus grande fermeté pour mettre fin aux viols. Le viol a pris des proportions inquiétantes. Personne ne peut dire le contraire. Et il faut prendre des mesures pour lutter contre le viol et les agressions sexuelles. Avec la criminalisation du viol, la commission du délit peut valoir à son auteur une peine plus sévère. Mais, puisqu’on parlera désormais de crime, on va vers l’ouverture d’une information judiciaire après un cas de viol. Donc, le temps pour l’instruction va certainement excéder le délai raisonnable que peuvent attendre les prévenus pour être jugés. C’est pour vous dire qu’avec l’engorgement des cabinets d’instruction, la durée des procédures judiciaires sera particulièrement plus longue. Or, le principe d’un délai raisonnable est une des bases de la notion de procès équitable. Il appartient au juge, gardien des libertés, de s’assurer de l’effectivité des règles fondamentales du procès. On l’a vu avec beaucoup de dossiers criminels, il s’est écoulé des années de procédure sans qu’aucun acte n’intervienne. Aussi, les organisations des droits de l’Homme n’ont pas été impliquées dans la préparation du projet de loi. Il fallait impliquer toutes les personnes concernées dès le départ ».
Me Ndiaga Dabo : « Le projet de loi portant criminalisation du viol et de la pédophilie prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à la perpétuité. Cela ne veut pas dire, a priori, que tout acte de viol sera sanctionné par une peine de prison à perpétuité. Certes, c’est une mesure qui renforce les pouvoirs de répression du juge en ce sens qu’il n’y a, désormais, plus de plafond dans la série des peines prévues par la loi. La répression peut aller jusqu’à la perpétuité. Mais, il reste que le juge conserve sa liberté d’appréciation après avoir suivi son intime conviction. Dans le régime des répressions, il y a toujours la répression ordinaire et la répression aggravée. Suivant le cas le juge devra appliquer la répression adéquate au vu des éléments du dossier. Cette loi renforce le juge autant qu’il dissuade l’agent pénal. Maintenant, il reste que cette loi peut avoir quelques conséquences non souhaitées. Car, ne l’oublions pas, en matière criminelle l’instruction est obligatoire et elle est facultative en matière délictuelle. Et dans notre système judiciaire, l’instruction se fait dans une durée relativement longue. L’inculpé est présumé innocent et sa détention risque d’être longue. Or, une politique pénale efficace doit s’appuyer sur un réalisme législatif qui fera que les velléités répressives n’auront aucun effet sur les droits fondamentaux des citoyens ».
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