La Libye célèbre les dix ans du début de l’insurrection « du 17 février ». Celle qui a mené à la chute de Mouammar Kadhafi avec l’aide militaire de la coalition internationale en 2011. Dix années sans un gouvernement pérenne, une décennie marquée surtout par les guerres qui ont fait un nombre de « victimes incalculables » d’après l’ONU. Sous l’égide de celle-ci, encore une fois, un nouveau gouvernement doit être formé d’ici quelques jours et organiser des élections à la fin de l’année.
De notre envoyée spéciale à Tripoli,
Les Libyens n’ont pas le cœur à la fête. La guerre déclenchée au printemps 2019 par le maréchal Khalifa Haftar contre ses ennemis du Gouvernement d’union nationale de Tripoli a laissé des traces profondes. Le sud de la capitale est toujours jonché de mines et de munitions non explosées… Les familles ne peuvent plus rentrer chez elles. La situation économique déjà désastreuse à cause de la crise financière s’est aggravé avec la crise sanitaire. Abdel Hamid Dbeibah, l’homme d’affaires choisi par une plateforme composée de 75 Libyens parrainés par l’ONU, a du pain sur la planche. Et le Premier ministre et le Conseil présidentiel désignés en même temps que lui multiplient les rencontres pour former un gouvernement.
Un gouvernement doit être formé et soumis au vote du Parlement élu de Tobrouk d’ici le 26 février. Le président du Conseil présidentiel Mohamed Menfi va de région en région, y compris dans le camp adverse, pour rencontrer l’ennemi Haftar. Une approche aussi critiquée que saluée.
« Cela posera un problème si ces nombreuses visites aboutissent à mettre sous le boisseau l’impératif de justice transitionnelle. Cela avait déjà été le cas en 2015 avant la mise en place de l’actuel gouvernement. Personne n’avait rendu de comptes sur les crimes commis depuis 2011. Mais les efforts de l’équipe Dbeibah sont louables. Il faudra voir ce qu’il en sort et comment vont se répartir les portefeuilles économiques et sécuritaires notamment », analyse Emadeddin Badi, chercheur spécialiste de la Libye.
Partage des ressources
L’un des dossiers chauds, c’est le partage des ressources issues du pétrole. Dès la fin de la guerre de 2011, l’est et le sud-libyens ont réclamé un partage plus équitable des ressources et une gestion plus transparente. La guerre de 2019 visait à contrôler les institutions du pétrole, à commencer par la compagnie nationale (la NOC), rappelle Luis Martinez, spécialiste de la Libye et de son pétrole.
« La bataille de 2019 de Haftar, c’était pas pour contrôler Tripoli, c’était pour prendre le contrôle de la Banque centrale et le contrôle du siège de la NOC. Tripoli en elle-même, il n’en a rien à faire, c’est plus un problème qu’autre chose. Mais s’il avait pris la Banque centrale et la NOC, il avait le circuit complet sur le plan pétrolier pour pouvoir inverser la tendance. »
Rien, en tout cas, ne se décidera sans un gouvernement pleinement souverain sur un territoire réunifié. Syrte, la ville de naissance de Mouammar Kadhafi où il fut tué en octobre 2011, refait parler d’elle. Délaissée après la révolution, prise par Daech, reprise par Misrata, elle est au coeur des enjeux sécuritaires et énergétiques car non loin de là se trouvent les principaux terminaux pétroliers.
Partition du pays
Des opérations de déminage prévu par l’accord de cessez-le-feu entre les deux camps ont commencé à Syrte, mais cela ne suffira pas à ramener la paix, selon le chercheur Emadeddin Badi :
« La réouverture de la route côtière entre Syrte et Tripoli est en bonne voie. Il y a eu beaucoup de communication là-dessus. Mais cela montre qu’il n’est toujours pas possible de traiter la présence des mercenaires, les forcer à se retirer. Je pense qu’à terme, on risque de voir un conflit gelé. Il sera dans l’intérêt des pays qui sont parties prenantes dans le conflit en Libye. Ce n’est pas vraiment une partition du pays. Mais ce n’est pas non plus sa réunification. Mais avec cette vision bornée, vous préparez le terrain au prochain conflit d’ordre international. Ce sera dans quelques mois ou quelques années, mais c’est le risque tant que les mercenaires seront là. »
Des mercenaires étrangers, dont la présence est documentée dans les deux camps en violation de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU il y a dix ans.
rfi