En Asie du Sud, nouveau foyer majeur du coronavirus, le système de santé flanche

Bangladeshi street peoples gathered to collect foods sit in lines, adopting social distancing rules as they received relief materials provided by local community during the nationwide lockdown as a preventive measure against the COVID-19 coronavirus pandemic in Dhaka, Bangladesh on April 3, 2020. (Photo by Sipa USA)No Use UK. No Use Germany.

Listes d’attente, malades refusés, soins dégradées… les systèmes de santé flanchent davantage en Asie du Sud, où le nombre de malades du nouveau coronavirus explose après plusieurs mois de faible progression, même si la mortalité reste faible.

A Peshawar, capitale du Nord-Ouest pakistanais, l’hôpital où officie la chirurgienne Samra Fakhar renvoie des patients chez eux « presque quotidiennement », faute de lits ou d’oxygène. « Il y a de la colère » au sein la population, qui parfois se transforme en « violence » envers les soignants, se lamente-t-elle.

Le Pakistan, à la population très jeune, a pourtant longtemps connu des chiffres du Covid-19 rassurants. Mais comme dans les autres pays de la zone, les statistiques se sont emballées ces dernières semaines à la faveur d’une augmentation du dépistage – encore partout insuffisant, ce qui cause une sous-évaluation du nombre de cas – et d’une progression du virus.

Après un « retard à l’incendie » lié au « facteur chance », qui fait « qu’un foyer peut devenir épidémique ou pas », « on a l’impression qu’aucun voyant n’est au vert aujourd’hui » en Asie du Sud, observe l’épidémiologiste Antoine Flahault.

Le Pakistan, au système de santé en déshérence, compte officiellement 160.000 malades. Le gouvernement craint qu’ils soient 1,2 million fin juillet. Une étude publique estimait récemment que la seule ville de Lahore (Est), aux 11 millions d’habitants, abritait 670.000 personnes infectées.

– Economie exsangue –

« A ce jour, le Pakistan ne remplit aucune des conditions préalables à l’ouverture du (pays) » avec son système de surveillance des patients (isolement, quarantaine) « faible », ses équipements « limités » et sa population « pas prête à changer de comportements », avertit l’Organisation mondiale de la santé.

Deux semaines après avoir annoncé la fin du déconfinement, les autorités ont recommencé à cloisonner les territoires les plus touchées. Depuis le début de la pandémie, le Premier ministre Imran Khan s’oppose pourtant à une fermeture du pays qui permet selon lui de « sauver les gens du coronavirus, mais les fait mourir de faim ».

En Inde, les autorités indiennes ont à l’inverse imposé fin mars un confinement draconien à leur population. La mesure s’est révélée catastrophique pour des millions de pauvres, soudainement privés de travail et forcés de voyager des centaines de kilomètres, souvent à pied, pour rejoindre leurs villages d’origine, favorisant la propagation du Covid-19.

« Dans un pays comme l’Inde, avec sa pauvreté à grande échelle et son importante communauté de (travailleurs) migrants, vous ne pouvez pas vous attendre à ce que tout le monde se mette à l’abri en attendant la fin de la tempête », observe l’analyste américain Michael Kugelman. « L’Inde, ce n’est pas la Nouvelle-Zélande. »

Confrontée à une économie exsangue, New Delhi a entamé un déconfinement début juin, alors même que l’épidémie prend de l’ampleur. Avec 366.000 malades, l’Inde, où certains hôpitaux ont mis en place des listes d’attente pour patients Covid, quand d’autres structures vendent à prix d’or leurs derniers lits disponibles, est désormais le quatrième pays au monde au nombre de contaminations.

La maladie y demeure toutefois peu mortelle, avec 12.000 décès pour 1,3 milliard d’habitants, même si les autorités ont déclaré mercredi 2.000 nouveaux morts en une journée, un bilan partiellement imputable à des révisions de chiffres à New Delhi et Bombay, deux villes durement frappées.

– ‘Désastre’ –

Le Bangladesh, lui, compte 1.300 morts pour 161 millions d’habitants. Une létalité très faible comparée à l’Europe ou les Etats-Unis, mais qui promet de s’accroître.

« La situation est catastrophique », s’alarme ainsi Abdur Rob, médecin à Chittagong, la deuxième ville bangladaise. « Les patients meurent dans les ambulances alors qu’ils font la navette entre les hôpitaux. »

Avec selon lui 350 lits dédiés au Covid-19, dont 25 de soins intensifs, pour plusieurs millions d’habitants, « nous sommes dépassés », poursuit-il. A Dacca, la capitale, des médias, se basant sur le nombre d’enterrements, estiment que la mortalité officielle est très largement sous-estimée.

Le nombre des décès est moins questionné au Pakistan, qui compte 3.000 morts du nouveau coronavirus pour 220 millions d’habitants… contre quinze fois plus au Brésil, à la population équivalente.

« L’Asie du Sud est à un niveau antérieur sur la courbe » de la pandémie par rapport à l’Amérique latine, observe Archie Clements, épidémiologiste à l’université australienne Curtin. « Une augmentation exponentielle du nombre de morts suivra vraisemblablement une augmentation exponentielle du nombre de malades », juge-t-il.

En Afghanistan, après quatre décennies de guerre et un système de santé en lambeaux, le pire semble advenir, ce que les statistiques officielles ne reflètent pas, avec 27.000 malades pour 500 décès.

Le gouverneur de Kaboul, qui estime à un million le nombre de personnes infectées dans la seule capitale afghane, anticipe « un désastre ». « Nous avons des rapports faisant état d’une augmentation des décès suspects et de personnes enterrant des cadavres la nuit. »