Que n’a-t-on pas dit sur les îles de Gorée et de Ngor ? Que n’a-t-on pas encore écrit ? Tout ou presque a été raconté sur ces lieux de villégiature, moult fois fouillés, visités, explorés. Tous leurs secrets ont été déflorés. Sauf peut-être, celui de leurs cabanons. Ces huttes de fortune pour hôtes de passage qui vous parlent quand vous leur prêtez une oreille attentive. Dans ce reportage, les gérants de cabanons se laissent aller à quelques anecdotes croustillantes.
Le moment est voué au bonheur. «Coumba Castel», la majestueuse chaloupe, déchire délicatement les vagues de l’océan Atlantique. Un instant magique imprimé sur le grand bleu. De loin, Gorée, avec son bonnet de tuiles roses, située à 3,5 km au large de Dakar, est visiblement en ébullition. L’île mémoire, rocher millénaire de 18 km² planté dans la rade de la capitale sénégalaise, renoue avec l’ambiance estivale. L’île mythique qui semblait avoir perdu son entrain à cause de la pandémie de covid-19, est redevenue festive. A l’horizon, l’habituel regroupement au débarcadère et le rassemblement sur la plage témoignent de la relance des activités. Sur la terre ferme, des restaurants, des parasols et des cabanons tous bondés, égayés par les clapotis des mômes dans les vagues de l’Atlantique. Gorée revit. Au grand bonheur des petits commerces insulaires, comme la location de cabanons pour hôtes de passage. Aux abords de la plage, il est difficile de se frayer un chemin. Tellement l’installation des parasols et autres cabanons est anarchique. Silhouette athlétique, torse nue, une ceinture banane autour de la taille, Moustapha fait partie des jeunes qui louent des abris provisoires aux vacanciers de passage. Ce, depuis une quinzaine d’années. En fin connaisseur, l’homme, la trentaine, ne se fait pas prier pour décortiquer les rouages du métier. «C’est un job à temps partiel. Je l’effectue pendant les vacances scolaires. Avec la pandémie, le métier était à l’agonie. Mais, avec cette accalmie, les activités ont repris. Je ne me plains plus», explique Moustapha, large sourire aux lèvres. Très sollicité par une clientèle diversifiée en cette période estivale, le loueur de cabanons est aux anges. «Je loue les parasols à 3 000 francs et les cabanons à 5 000 voire 7 000 francs CFA. Je gère plus de 15 cabanons. Donc, oui je me fais beaucoup d’argent. Dans la semaine, je peux avoir plus de 80 000 FCfa de bénéfice», sourit-il. Un métier escorté aussi par son lot d’anecdotes les unes plus savoureuses que les autres.
Le jeune couple, les gémissements et la partie de jambes en l’air
Moustapha Ndiaye ne dira pas le contraire. Une particulièrement l’a marqué à jamais. La raconter le met très mal à l’aise. Et comme pour chasser sa gêne, l’homme entrecroise les doigts, serre les paumes l’une dans l’autre, respire et se lance. L’histoire remonte à 2016. Alors que les cabanons fermés étaient encore autorisés sur l’île, Moustapha avait loué à un jeune couple un cabanon près du Musée historique de Gorée. «C’était vers 19 heures. Vu que c’était un couple, je leur avais proposé de les loger là-bas. Car, l’endroit était très calme et pas du tout fréquenté à l’époque. D’ailleurs, pour la soirée, ils avaient déboursé 10 000 francs CFA», se remémore l’homme. En acceptant ce marché, Moustapha était loin de s’imaginer la scène surréaliste à laquelle il allait assister quelques heures plus tard. «A l’heure où je faisais ma dernière ronde vers minuit, j’ai été alarmé par des gémissements provenant du cabanon du jeune couple. J’ai soulevé un pan de la tente et je suis tombée des nues. Ils étaient en pleine partie de jambes en l’air. Gêné aux entournures, je me suis hâté de rabaisser la tente et j’ai patienté à côté, après les avoir sommés de se retirer, s’ils ne voulaient pas rater la dernière chaloupe. La jeune fille âgée de 17 ans avait tellement honte qu’elle avait du mal à me regarder», souffle-t-il. Depuis cet incident et d’autres similaires, une décision de l’autorité de l’île est venue réguler ce secteur lucratif à Gorée. Tous les cabanons sont désormais ouverts. Plus aucun cabanon à usage passager et fermé n’est autorisé sur l’île. Une décision saluée par ce loueur de cabanon. «Avant, les clients faisaient du n’importe quoi dans les cabanons fermés. Heureusement que la mairie les a interdits depuis quelques années, sinon bonjour la débauche», se réjouit Moustapha Ndiaye.
«J’ai ramassé un sachet rempli de chanvre indien dans un cabanon»
Sur le sable fin de la plage de l’île aux esclaves, Omar, muni d’une pelle, est à l’œuvre. Vêtu d’un petit short gris sur un tee-shirt blanc qui cache à peine sa musculature, l’homme de 25 ans creuse le sable fin. Suant à grosses gouttes, il insère dans le trou le parasol afin d’avoir un peu d’ombre et y étale une natte. Autour de lui, un groupe de jeunes tous fourrés dans des maillots de bains attendent impatiemment d’être installés. Sa besogne finie, Omar confie : «Juste avant la fermeture de l’île aux visiteurs en 2020, Il m’est arrivé de ramasser un sachet noir rempli de chanvre indien. Son propriétaire l’avait sûrement oublié par mégarde dans le cabanon que je leur avais loué. Pris de peur, j’ai automatiquement amené le sachet au poste de police de l’Île», se rappelle Omar. Se consacrant à ce métier depuis sa tendre enfance, la location de cabanon n’a plus de secret pour lui. Et, retrouver de la drogue dans ses cabanons est monnaie courante. Selon Omar, ce sont des choses qui relèvent de l’ordinaire. «Dans les cabanons, les jeunes passent leur temps à fumer. Je ne sais pas comment ils font pour passer les radars de l’embarcadère. Mais, c’est un vrai problème. Il ne passe pas trois jours sans que je ne ramasse de petits sachets remplis de chanvre indien», explique Omar. C’est d’ailleurs à cause de ces multiples trouvailles que les autorités de l’île ont interdit l’usage du narguilé, plus connu sous le nom de la «chicha», sur l’île. «Les jeunes mettaient la drogue à la place du charbon de la «chicha». L’odeur sentait à mille lieues. Maintenant, ils le font en douce. Et, c’est pire.»
«Le jour où j’ai été embarqué par la police»
Djibril Diop ne dira pas moins. Posté au débarcadère, il guette impatiemment la chaloupe, à la recherche d’éventuels clients. Son attente finira par payer. Un groupe de baigneurs se rapproche de lui à la recherche d’un abri pour la journée. Un de ses cabanons logé au niveau de la seconde plage fera l’affaire. Sourire aux lèvres, Djibril est fier de sa démarche qu’il juge payante. Mais, son job n’est pas toujours escorté de succès. Il y a un mois, sa vie a failli basculer. «J’avais loué à un groupe de jeunes un cabanon. Tous avaient des téléphones de marque. Alors qu’ils étaient partis se laver, tous leurs effets avaient disparu. Et malheureusement pour moi, ils ont tous dit que j’étais coupable», se rappelle l’homme de 30 ans. Le souffle court, il poursuit : «Ils m’ont roué de coups puis cela a dégénéré en une bataille rangée entre eux et mes amis. La police de l’île est finalement intervenue. Et, j’ai même été embarqué par les limiers», explique Djibril. Un coup dur pour sa réputation et pour son job de gérant de cabanons. Mais, les choses sont revenues à l’ordre. «Je n’ai pas duré à la police. J’ai été libéré le jour même, car j’étais innocent. C’est un métier lucratif, mais qui a ses inconvénients, si on ne prend pas ses précautions.».
La course-poursuite avec les prostituées
Sur l’île de Ngor, le décor féerique renvoie aux îles Maldives. Un vent apaisant et frais caresse le visage des hôtes massés sous des huttes de fortune, le long de la plage. Le lieu est très tôt pris d’assaut par les usagers. Si certains optent pour des tentes ou parasols à ciel ouvert, d’autres préfèrent les cabanons. Les prix varient entre 3 000 et 8 000 FCfa. Modou est un gérant de cabanons. Invité à évoquer des insolites et le bonhomme, lunettes de soleil déposés sur le tif, se presse de dérouler. «Ce jour-là, un groupe de jeunes filles s’est présenté à nous. Elles étaient toutes vêtues de maillots de bain. Par groupes, téléphones scotchés en permanence à l’oreille, elles faisaient des va-et-vient incessants sur la plage. Une attitude qui a attiré notre attention. Alors que l’endroit commençait à se vider de son monde, elles se sont engouffrées dans les cabanons en galante compagnie», raconte-t-il. Interloqué, Modou ameute ses amis. Ce qu’ils ignoraient, c’est qu’ils avaient affaire à une bande de prostituées. «Nous les avons surpris en plein ébats dans leurs cabanons respectifs et nous les avons chassés de la plage. C’était une véritable course-poursuite. La scène était presque surréaliste.» Apeurés et surpris par le déferlement des gérants, les clients ont détalé comme des lapins, laissant leurs effets personnels dans les cabanons. «Ici, les gérants sont très vigilants. Les contrôles sont stricts et nous ne permettons pas aux clients de faire ce qu’ils veulent parce que la police peut effectuer, à tout moment, une descente.» Une manière pour Modou de protéger son gain…
«Surpris en pleins ébats, le chauffeur de taxi a détalé en caleçon»
Matar Sylla est un doyen dans ce métier. Le quinqua capitalise une vingtaine d’années dans le business. Ecœuré par un fait qui l’a toujours marqué, il a préféré le partager avec un sourire forcé. «Ce jour-là, il était minuit passé. Les policiers en civil avaient fait une descente sur la plage. Munis chacun d’une lampe torche, ils fouillaient les cabanons. C’est là qu’ils ont surpris un taximan et sa copine en pleins ébats sexuels. Pris de peur, le conducteur a détalé en caleçon, laissant sa copine sur la natte ainsi que ses talismans et la clé de sa voiture. La fille était au bord de l’hystérie. Elle sera embarquée dans le panier à salade par les limiers, malgré ses pleurs et supplications.» Une situation grotesque qui renseigne, à bien des égards, sur les mille et un secrets que renferment les cabanons.
AICHA GOUDIABY & SERIGNE SALIOU YADE