GESTION DE LA PANDEMIE AU SENEGAL : Pr Seydi-Diouf Sarr, le désaccord !

Le désaccord entre le Professeur Seydi et le ministère de la santé a fini d’installer un malaise au sommet dans la gestion de la pandémie du Covid-19 au Sénégal.

Au début, c’était un malaise. Ensuite, c’est devenu un quasi mal-être. Le Professeur Moussa Seydi n’est pas en train de développer les symptômes du Covid-19, ce nouveau Coronavirus qui épouvante son quotidien et celui des Sénégalais depuis plusieurs mois. Mais le chef de service des maladies infectieuses de l’hôpital Fann (Dakar) souffre de plus en plus de ses dissensions avec les autorités politiques de la lutte contre la propagation du Coronavirus. Notamment le ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr, dont les dernières prises de décisions ont été interprétées comme une volonté habile d’«isoler» l’incontrôlable Seydi, en le dépouillant – sans en donner l’air- de beaucoup de ses prérogatives initiales. A la grande fureur du Président Macky Sall qui a expressément enjoint la tutelle à remettre le Professeur Seydi, avec armes et pouvoirs, au cœur du dispositif de la «guerre» médicale.

La survenue de la pandémie a mis au-devant de la scène cette personnalité inattendue. Une période maudite qui a mis en lumière cet homme fluet et flegmatique que l’on ne regardait plus ou que l’on ne connaissait pas. Moussa Seydi n’a pas le magnétisme prêté (par la gent féminine) au Dr Abdoulaye Bousso du Cous, mais il a été d’emblée cette petite voix savante et «sachante» qui a expliqué, éclairé, rassuré et parfois sermonné les Sénégalais sur cette maladie à Coronavirus. Sous le joug interminable de ce maudit Covid-19, à l’aube de nos matinées hantées par la peur de choper la morbide saloperie comme au soir de nos journées longues comme une nuit sans sommeil, chaque prise de parole de l’enfant de Pakao semblait le dimensionner en un «prophète en son pays». Ce qui n’aurait pas plu à tout le monde, principalement au ministère de la Santé où l’on s’accommode mal de l’envergure grandissante prise par cet homme voué à l’ombre. Et à répéter ses gammes, et (parfois) ses exploits médicaux, dans le silence des hôpitaux. Ou des amphithéâtres.

L’antécédent de Ziguinchor

Entre le praticien et le(s) politicien(s), le compagnonnage a rapidement manqué de fluidité. Et le remue-ménage d’après la déclaration de Seydi à Ziguinchor, où il pointait le dénuement de la salle de réanimation de l’hôpital régional avant d’être recadré par le Dr Aloyse Waly Diouf, n’a été que la première éruption de divergences souterraines. «Nous, personnel de santé, le peuple fonde un grand espoir sur nous, s’était ému le Directeur de Cabinet du ministre de la Santé au lendemain. Il y a des communications qui doivent se limiter entre nous, parce que nous ne devons pas inquiéter les populations par nos propos, même si on doit leur dire la vérité. Il y a des choses que nous devons régler entre nous». Et d’ajouter : «Si les gens favorisaient la communication interne, ils sauraient que les appareils de respiration sont en route.» En écho, Moussa Seydi n’a pas émis de réplique. Du moins, publiquement. Car la bataille entre le Professeur et les services du ministères de la Santé est comme le virus, invisible à l’œil nu, imperceptible aux regards non avertis. Les déclarations médiatiques et les sorties publiques servent souvent à occulter un malaise manifeste. Des désaccords profonds.

«Tentative d’isolement»

Cette sortie inopinée Professeur Seydi à Ziguinchor semble toujours restée «impardonnable» aux yeux ministère de la Santé. Son patron, Abdoulaye Sarr, a beau chercher à tempérer l’opinion, en soutenant «garder les meilleures relations avec le Professeur (…) qui reste (son) principal conseiller» dans la lutte contre la pandémie au Sénégal, les actes qu’il pose depuis laissent croire à une «tentative de mise en isolement» de Moussa Seydi. C’est l’interprétation qui a été faite et refaite par le monde de la santé de la série de nominations dont a bénéficié en quelques jours un seul et même homme : le Professeur Cheikh Tidiane Ndour. Jusque-là directeur de la Division de lutte contre le Sida et les IST (infections sexuellement transmissibles), ce médecin/Colonel a été nommé, le 16 avril 2020, cumulativement, à ses fonctions directeur Technique de la Clinique du Golf, un établissement d’une capacité de 50 malades. Puis, quelques jours plus tard, il a été hissé au rang de responsable du Hangar des pèlerins de Yoff qui recueille des cas positifs. Et, dans une réunion organisée dimanche dernier au ministère de la Santé et de l’action sociale, il y a été révélé, sauf rétropédalage de dernière minute, que le même Colonel Ndour sera aussi le directeur de la prise en charge des malades en hospitalisation externe (hôtels et autres sites). Le cas échéant, Cheikh Tidiane Ndour sera, de fait, le «patron» du dispositif de la gestion de l’épidémie du Covid-19 au Sénégal. Des mesures prises ou annoncées à l’insu du Professeur Seydi. Qui, pour illustrer son désaccord face aux actes du ministre, a informé à qui de droit qu’il ne partagera jamais («dans ses conditions») une table avec le Professeur Ndour pour la gestion de la pandémie.

Car entre les deux éminents médecins, il y a comme de l’acrimonie. Sinon, une rivalité latente. Le Professeur Ndour travaille en effet dans deux entités que dirige le Professeur Seydi : le service des maladies infectieuses et tropicales de Fann où il est le chef et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où il est le titulaire de la chaire d’infectiologie. Et il se serait glissé, au cours d’une réunion tenue ces derniers jours en présence des deux Professeurs, une «raillerie» autour d’une supposée vertu curative du «Café Touba» sur le Covid-19 qui alimente les coulisses du milieu hospitalier à Dakar. Ambiance, ambiance…

Hola de Macky Sall

Dans la série des mesures de frustrations prises par le ministère de la Santé à l’insu du Professeur, il y a également le transfert de certains patients à Philippe Maguilène Senghor, la gestion des malades du Hangar des pèlerins à Yoff et le projet d’envoi de patients au Centre de santé de Ngor. Et pour ne rien arranger de l’atmosphère, le ministère de la Santé a entamé des travaux d’agrandissement du site de traitement de l’hôpital Dalal Jamm à Guédiawaye, alors que le Professeur Seydi court derrière le montage des cabines supplémentaires du Centre de traitement de Fann, que la tutelle tarde à achever les travaux des cabines supplémentaires depuis des mois. L’entreprise Soutura, qui réalise de nombreux travaux dans la commune de Yoff, a en charge le chantier, mais les ouvriers travailleraient au ralenti.

Occupé par les soins pour les malades du Covid-19, le Professeur Moussa Seydi, qui a installé ses hommes dans les différents centres de traitement à Dakar et à Touba, aurait ainsi choisi de couper les ponts avec la gestion, qualifiée de «politique», du ministre de la Santé. Il décide unilatéralement de priver l’envoi de certaines informations à la tutelle. «Il n’envoie plus de sms au ministre comme il était de coutume à l’occasion de chaque décès», confie-t-on au sein des acteurs de la lutte contre le Coronavirus au Sénégal. Selon certaines indiscrétions, le médecin et le ministre «ne s’entretenaient plus au téléphone depuis quelque temps». Mais, selon les informations de L’Observateur, c’était avant que le Président Macky Sall ne vienne «au soutien du Pr. Seydi, un homme qu’il respecte, un scientifique qu’il chouchoute, presque», souffle-t-on au Palais de la République. Où d’ailleurs l’on subodore que la non-installation, jusque-là, du Comité scientifique, que devrait diriger officiellement Moussa Seydi, ne soit une volonté de «maîtriser l’indépendance d’esprit et d’action» du Professeur de médecine.

Selon l’entourage présidentiel sondé par L’Observateur, une séance de conciliation des positions entre le Professeur Seydi et la faîtière du ministère de la Santé dev(r)ait s’organiser, suite à une instruction ferme du Chef de l’Etat. Une réunion de désinfection des relations «qui a été exigée par Macky Sall» afin «d’arrondir les angles» pour mieux coordonner la «guerre» contre le Coronavirus. Mais à l’état actuel de ses informations, L’Observateur ne sait pas si ce «sommet de la paix» a eu lieu. En ce temps de péril, où l’Etat ne sait plus à quel saint se vouer, le Professeur Seydi incarne – aux yeux de beaucoup de Sénégalais- une image sans tache de ce qui se fait de mieux dans la médecine dans le pays. Et il n’est question pour le Président de la République de faire la moindre infidélité à celui qui porte les espoirs de tout un peuple.

IGFM