Aux premiers jours de la guerre en Ukraine, en février, des reporters du Monde ont raconté les attaques russes sur Marioupol. La grosse ville du sud-est de l’Ukraine subissait alors ses premiers bombardements. Puis notre équipe est repartie, se déplaçant pour documenter le calvaire vécu par d’autres villes et bourgades. Beaucoup d’autres médias ont suivi ce même itinéraire, quittant les lieux avant que la sortie n’en soit bloquée par les forces russes. Rapidement, la ville martyre n’a plus compté qu’une équipe de journaliste internationaux, celle de l’agence Associated Press. Le Monde a choisi de traduire le témoignage qu’ils rapportent de leurs reportages sous les bombes et de la traque par une armée russe qui cherche à imposer un « black-out » médiatique le plus total.
Témoignage. Les Russes nous traquaient. Ils avaient une liste de noms, dont les nôtres, et ils se rapprochaient. Nous étions les seuls journalistes occidentaux encore présents dans Marioupol, et cela faisait plus de deux semaines que nous documentions son siège par l’armée russe. Nous étions en train de faire un reportage à l’hôpital quand des hommes armés se sont mis à arpenter les couloirs. Les chirurgiens nous ont donné des blouses blanches en guise de camouflage.
Article réservé à nos abonnés Guerre en Ukraine : à Marioupol, « c’est un enfer, c’est Alep. Je voudrais que tout le monde l’entende en Europe »
Soudain, à l’aube, une douzaine de soldats ont fait irruption : « Où sont les journalistes, bordel de merde ? » J’ai jeté un coup d’œil à leurs brassards, bleus donc ukrainiens, mais je me suis demandé quelles étaient les chances qu’il s’agisse de Russes déguisés. J’ai fait un pas en avant et décliné mon identité. « On est là pour vous faire sortir », ont-ils dit.
Dehors, les explosions d’obus et les tirs de mitrailleuses faisaient trembler les murs du bloc opératoire et il semblait plus sûr de rester à l’intérieur. Mais les soldats ukrainiens avaient reçu l’ordre de nous emmener. Nous sommes sortis dans la rue en courant, abandonnant les médecins qui nous avaient protégés, les femmes enceintes qui avaient été bombardées et les gens qui dormaient dans les couloirs parce qu’ils n’avaient nulle part où aller. Je m’en voulais terriblement de tous les laisser là.
Le temps, rythmé par les obus
Neuf minutes, peut-être dix, une éternité parmi les rues et les immeubles détruits. Lorsque les obus tombaient trop près, nous nous laissions tomber au sol. Le temps était rythmé par les obus, nos corps étaient crispés et nous retenions notre respiration. J’avais la poitrine secouée par une onde de choc après l’autre, et mes mains étaient glacées. Nous avons atteint une entrée et des véhicules blindés nous ont conduits jusqu’à un sous-sol obscur. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’un policier nous a expliqué pourquoi les Ukrainiens avaient risqué la vie de soldats pour nous extraire de l’hôpital.
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