Incompatibilité du mandat de député avec la qualité de membre du gouvernement : il faut réécrire l’article LO. 172 du code électoral
L’incompatibilité du mandat de député avec la qualité de membre du gouvernement a donné lieu à des échanges houleux et créé de vives polémiques, lors de l’élection du Président de l’assemblée nationale. L’incompatibilité du mandat de député avec la qualité de ministre ne fait pas l’objet de débat puisque l’article LO.163 de la loi n°2021‐35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral dispose que « Le mandat de député est incompatible avec la qualité de membre du Gouvernement…. La question posée était plutôt de savoir si les ministres qui se trouvaient dans une situation d’incompatibilité visée par l’article LO.163 du code électoral pouvaient être présents à l’assemblée nationale et participer au vote pour élire le Président de l’assemblée nationale.
Pour trancher la question du point de vue juridique, une étude comparative du code électoral français et sénégalais est pertinente et nécessaire, d’autant que les textes au Sénégal sont l’exacte réplique des dispositions juridiques françaises.
En France, les députés doivent, dans le trentième jour après la proclamation des résultats de l’élection, se démettre de leurs activités incompatibles. S’ils ne démissionnent pas dans le délai imparti, ils sont déclarés démissionnaire d’office.
Article LO.151 du code électoral français
Le député qui se trouve dans un des cas d’incompatibilité mentionnés à l’article LO 141 est tenu de faire cesser cette incompatibilité en démissionnant d’un des mandats qu’il détenait antérieurement, au plus tard le trentième jour qui suit la date de la proclamation des résultats de l’élection qui l’a mis en situation d’incompatibilité ou, en cas de contestation, la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif.
A défaut d’option dans le délai imparti, le mandat acquis à la date la plus ancienne prend fin de plein droit.
Article LO151 – Code électoral – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
La lecture de l’article LO.151 du code électoral en France est d’une clarté biblique et ne laisse place à aucune interprétation. Pour déterminer la computation des délais, le code électoral français prend en compte l’ELECTION et souligne de manière claire, nette et précise qu’au plus tard, dans le trentième jour qui suit la date de proclamation des résultats de l’ELECTION, le député doit démissionner en faisant cesser cette incompatibilité.
Au Sénégal, le principe de la démission pour faire cesser l’incompatibilité « du mandat de député avec la qualité de membre du gouvernement » est le même qu’en France, mais à une différence près : il y a un vide juridique au niveau de la rédaction de l’article LO.172 du code électoral, source de confusion.
Article LO.172 du code électoral sénégalais
Le député qui, lors de son élection, se trouve dans l’un des cas d’incompatibilité visés au chapitre 3 sur les incompatibilités, est tenu d’établir dans les 8 jours qui suivent son entrée en fonction qu’il s’est démis des fonctions incompatibles avec son mandat…..
À défaut, il est déclaré démissionnaire d’office, à moins qu’il ne se démette de son mandat.
A lecture de l’article LO.172 du code électoral sénégalais, on constate qu’à aucun moment, il n’est défini le fait générateur, ni situé le moment qui détermine la date effective d’entrée en fonction du député. Tout juste, il est souligné qu’après son élection, « le député est tenu de se démettre de ses fonctions dans les 8 jours qui suivent son entrée en fonction ». L’entrée en fonction du député prend-elle effet à la date de proclamation des résultats par le Conseil Constitutionnel le 11 aout 2022, ou débute-t’elle avec la date de l’élection du Président de l’assemblée nationale ? La loi (l’article LO.172 du code électoral) est totalement muette à ce niveau. Dans le cas d’espèce, nous disposons d’une jurisprudence : c’est l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO en date du 29 juin 2018, dans l’affaire Khalifa SALL qui a conclu que « sa détention, pendant la période qui a suivi son élection en qualité de député et s’est écoulée jusqu’à la date de levée de son immunité parlementaire, est arbitraire ». Pour la Cour de Justice de la CEDEAO, rappelant les dispositions de l’article 51 de la loi portant règlement de l’assemblée nationale « le député est couvert par l’immunité à compter du début de son mandat qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil Constitutionnel ». Cette interprétation du début du mandat du député par la Cour de justice de la CEDEAO est parfaitement conforme à celle du code électoral français, qui prend uniquement en compte la date de proclamation des résultats de l’ELECTION, pour la computation des délais liés à la démission du député visé par des situations d’incompatibilité.
Dans un état de droit, les normes doivent être suffisamment claires, accessibles et intelligibles pour ne susciter aucune difficulté d’interprétation chez les destinataires, qu’il s’agisse des pouvoirs publics ou des particuliers. Un texte de loi doit être clair, compréhensible, et bien rédigé. Chaque destinataire, doit comprendre, sans difficulté, le sens et la portée de la loi.
C’est un fait : la quasi-totalité des dispositions juridiques au Sénégal (Constitution, code pénal, code de procédure pénal, code électoral, etc…), sont simplement une reproduction littérale, et quasi-identique des textes français. Les rédacteurs de nos lois « copient mal », font preuve d’une paresse intellectuelle innommable et créent délibérément la confusion.
Pour éviter que ce qui s’est passé le 12 septembre 2022, dans l’hémicycle, ne se reproduise, il faut, sans délai, une réécriture de l’article LO. 172 du code électoral : « Le député qui, lors de son élection, se trouve dans l’un des cas d’incompatibilité visés au chapitre 3, est tenu d’établir dans les 8 jours qui suivent la date de proclamation des résultats de l’élection qu’il s’est démis des fonctions incompatibles avec son mandat ». Au Sénégal, Il urge de dépoussiérer les textes afin de lever toutes les ambiguïtés, source de confusion, et d’insécurité juridique, qui font le lit des sorciers juridiques.