Ce jeudi, le chef de l’Etat va prendre part à l’Université d’été du mouvement des entreprises de France. Il fera une importante communication devant cette palette d’investisseurs. Mais quel message doit-il vraiment y délivrer, au moment où, l’essentiel des gros marchés publics et autres concessions du pays sont déjà captés par ces entreprises hexagonales. Economiste et enseignant-chercheur, Elhadj Mounirou Ndiaye répond à cette question dans ce bref entretien.
Devant le privé français, qui remporte la plupart des grands marchés de l’Etat du Sénégal, qui détient des participations ou des entreprises dans les secteurs stratégiques de l’économie sénégalaise, quel doit être le discours du chef de l’Etat ?
Un discours de vérité, un discours sans complaisance. Un discours qui leur rappel tous leurs intérêts qu’ils ont dans notre pays. Un discours qui leur rappelle la clémence, la cordialité, l’hospitalité que le Sénégal leur a toujours offertes pour investir au point de représenter aujourd’hui 20 à 25% des créations de valeur ajoutée au Sénégal. Ce sont des liens assez forts qui méritent respect, déférence, un bon traitement de la part de l’Etat français et de son secteur privé. Le président de la République a la balle dans son camp.
C’est le moment pour le président Sall de tenir un discours véridique, qui fasse allusion à l’amertume, aux craintes et à la colère qui bouillonne dans le cœur des peuples africains.
La situation actuelle justifie ce discours parce que nous sommes partis de très loin. Récemment les africains s’offusquaient du discours du président français par rapport au Mali et au Sahel, quand il menaçait les présidents et leur demandait de clarifier leur discours. C’est le moment pour le président Sall de tenir un discours véridique, qui fasse allusion à l’amertume, aux craintes et à la colère qui bouillonne dans le cœur des peuples africains. Avec la covid-19, les frontières européennes ont été fermées aux pays africains alors, que rien que pour le Sénégal, les intérêts européens représentent 30% des créations de valeur ajoutée. Nous méritons plus de respect et un meilleur traitement.
Peut-il en profiter pour insuffler un nouveau paradigme d’intervention du privé français au Sénégal, qui puisse limiter cet aspect extraverti de l’économie sénégalaise ?
Je pense que l’investissement étranger, que ce soit l’investissement français, Turque ou Chinois, c’est un investissement qui vient en appoint à l’économie sénégalaise. Ce n’est pas une fin en soi, mais il vient en appoint. C’est un atout important. Nous n’entendons pas proposer à ce que ce soit limité. Toute opportunité d’investissement pouvant être valorisée, venant de l’étranger, doit être valorisée. Et l’Etat même est clair dessus. Et le climat des affaires est taillé sur la mesure de ses ambitions. Mais il faudrait quand même, à partir de maintenant, mettre en avant le privé sénégalais.
Le France est publiquement accusée, sur le plan international, d’affaiblir ses anciennes colonies
Il faut que le gouvernement cristallise ses efforts sur le privé sénégalais. Nous avons suffisamment aménagé le climat des affaires pour offrir les facilités nécessaires pour favoriser l’installation d’ entreprises étrangères. Le fait que 30% de la valeur ajoutée soit créée par des entreprises européennes montre que l’économie formelle est en très grande partie occupée par les entreprises étrangère, en plus de la part de la Chine etc. Il faut inverser la tendance aujourd’hui, tout en maintenant cet acquis. Il y a toute une symbiose à trouver pour permettre au privé national de développer ses tentacules à l’étranger tout en restant fort à interne.
Qui gagne vraiment dans la coopération entre les deux pays au vu du volume important de marchés remportés par des entreprises françaises au Sénégal ?
Même ce système-là est démasqué. Nous savons que c’est une forme de colonialisme qui a existé à ce niveau et c’est comme si nos présidents ont peur d’agir. Le France est publiquement accusée, sur le plan international, d’affaiblir ses anciennes colonies. A chaque fois, on vous dit que les colonies anglophones sont mieux loties. Et quand on parle d’émergence en Afrique on vous parle du Kenya, du Ghana, du Nigéria mais aucun pays francophone. Il est temps de développer une coopération gagnant-gagnant dans laquelle le Sénégal pourra tirer son épingle du jeu. Mais cette situation-là ne pourra pas continuer. Ce sont les jeunesses africaines, les populations africaines qui réclament la justice à ce niveau.
Que faire alors ?
Il est temps, maintenant de nous occuper de nous-mêmes, développer ce secteur privé sénégalais en lui permettant de gagner la part la plus importante des marchés publics. Ceci est à notre portée. Ce qui permettra au Sénégal d’être résilient face à des situations pareilles. Avec cette pandémie, ce sont les pays qui ont un secteur privé debout qui font face. Malheureusement, nous n’avons pas un secteur privé performant. Ce qui fait que nous éprouvons énormément de difficultés pour être résilient et faire face à la situation. Donc cap sur le privé sénégalais.