Ces derniers jours, le nombre de décès de personnalités de ce pays a attiré l’attention, car ces morts sont très médiatisées. Une explosion de décès qui émanerait pourtant d’un concours de circonstances, notamment de la fermeture des frontières qui aurait retardé les rendez-vous médicaux à l’étranger de la plupart de ces personnalités, entre autres facteurs. Sauf que leur décès constitue l’iceberg des morts de la Covid-19, selon des médecins qui donnent une explication médicale de cette série de disparitions parmi ces hautes personnalités.
« Ces hautes personnalités qui décèdent à l’hôpital Principal sont atteintes de la Covid », assène, péremptoire, le Dr Babacar Niang de la Clinique Sumassistance qui lève un coin du voile sur cette série macabre. « Elles sont obligées d’aller à l’hôpital Principal parce que c’est un établissement à service de réanimation dédié pour la Covid. Presque toutes ces personnalités qui sont décédées à Principal ne se soignaient pas là-bas. L’explosion de ces décès de hautes personnalités, c’est l’iceberg des morts de la Covid19 au Sénégal. Déjà, on est aujourd’hui à 25 % de cas qui va connaitre une augmentation surprenante dans ces jours à venir. Surtout avec les déplacements pour les besoins de la fête de la tabaski, les marchés, le problème du port correct du masque. Les régions qui n’avaient pas de cas ont aujourd’hui dépassé la dizaine de cas de contaminés. Au Sénégal, on a pris le coronavirus pour une étude. Pour preuve, les accidentés payent leur prise en charge médicale, idem pour les césariennes… On n’est pas parti pour soigner les gens. D’où ce soi-disant gratuité ».
Ce qui fera dire à Dr El Hadj Ndiaye Diop que « si ce plateau technique était très relevé, on aurait peut-être dû avoir moins de décès. Malheureusement, on est tous embarqués ». Certainement, dans un train qui roule sur des rails en défaillance. « Pour éviter l’hécatombe, restez chez-vous. Les cas commencent à être très nombreux et si ça continue ainsi, nous ne pourrons pas gérer la situation. Si le chiffre de 100 cas atteints ne fait pas peur, c’est parce que vous n’avez pas compris le risque qui nous guette », disait le professeur Moussa Seydi juste un mois après l’introduction du premier cas au Sénégal dans un message où il avait prédit le chiffre de 10 000 cas. « On ne prend pas des mesures radicales, le Sénégal peut se retrouver avec 10 000 cas » !
Cinq mois après, on est à plus de 10 000 cas de personnes atteintes. « Or nous n’avons pas les moyens de contenir une vague de contaminations. On va vers beaucoup de décès si la situation devient incontrôlable comme dans les autres pays », avait alerté le chef du service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Fann, le Pr Moussa Seydi. En tout cas, on ne peut qu’être inquiet devant cette série de pertes chez les religieux, l’élite universitaire et politique, dans le monde des affaires et des journalistes… Des personnalités dont la plupart ont été emportées par le coronavirus qui a déjà fait plus de 200 morts dans notre pays… Du moins, officiellement, car, dans les faits, il y en a sans doute beaucoup plus !
« Mourir dans un hôpital de l’ancienne puissance coloniale alors qu’ils ont eu le temps pendant 59 ans de doter ce pays de structures hospitalières dignes de ce nom ! Quel gâchis. » Ainsi s’indignait le leader de Frapp France Dégage, Guy Marius Sagna, après l’annonce du décès du secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng survenu dans une structure sanitaire de la région bordelaise. L’activiste faisait allusion aux soins médicaux que vont chercher des autorités politiques à l’étranger. Ses propos, publiés sur sa page Facebook, lui avaient même valu à l’époque une interpellation. Sauf que lorsqu’il « nous » montrait la lune du gâchis et du scandale des évacuations sanitaires, nous autres citoyens lambda avions les yeux rivés sur son petit doigt. Et pourtant, il plaidait pour le relèvement du plateau technique afin que tout un chacun puisse bénéficier des soins médicaux dans son propre pays avec des professionnels de la santé mis dans de bonnes conditions.
Aujourd’hui, avec les nombreux cas de décès de hautes personnalités ces derniers jours, l’histoire semble lui donner raison. C’est du moins ce que semble soutenir le Dr El Hadj Ndiaye Diop de l’hôpital Ndamatou de Touba. Selon lui, le nombre important de décès de « hautes personnalités » noté ces temps-ci émane d’un concours de circonstances. Notamment du fait que « ces personnalités n’avaient pas l’habitude de mourir au pays. Ils allaient se soigner à l’étranger où ils perdaient la vie. Ce qui fait que, avant, leurs décès n’attiraient pas l’attention comme aujourd’hui. Je pense que leur décès a une coïncidence avec la covid-19. Mais il faut dire aussi que, avec la litanie de nos autorités sanitaires, on est brusquement trop attiré par ces décès. Et puis, à moins que je me trompe, c’est la première fois au Sénégal qu’on prête une si grande attention face aux décès de hautes personnalités. Les années passées, peut-être que des politiques et des religieux sont décédés ensemble et pendant un bon bout de temps, mais jamais personne n’a eu à faire le parallèle », soutient ce praticien en service dans la capitale du mouridisme.
A en croire son collègue Dr jean François Diène, « si, aujourd’hui, les décès de ces personnalités attirent l’attention, c’est parce qu’ils sont trop médiatisés ». Poursuivant, il estime qu’« il y a une explication médicale à cette multiplication de décès chez les hautes personnalités. La maladie de Covid-19 est grave chez les sujets âgés et ceux ayant des comorbidités. En Europe, par exemple, s’il y a eu un nombre important de décès, c’est parce que la population est plus vieille que la nôtre qui compte une majorité de jeunes. Or, avec les jeunes, on ne rencontre pas beaucoup de problèmes. Mais toutes les personnes, à partir de 70 ans, ont des risques de développer des formes graves car ayant des morbidités qui augmentent les risques. Pour le cas spécifique de nos personnalités, la plupart avaient l’habitude de se faire soigner à l’étranger, mais, avec la fermeture des frontières, certaines parmi elles qui avaient des rendez-vous n’ont pas pu sortir du pays, c’est pourquoi, on a cette explosion de décès ».
Le Dr Diop de Ndamatou rappelle lui aussi que « 80% de ces personnalités se soignaient à l’étranger en temps normal. D’habitude, c’était Principal ou hôpital américain de Paris… Avec l’épidémie qui avait occasionné la fermeture des frontières, il y en a qui ont certes pu voyager par des voies détournées ou par les vols spéciaux mais les autres sont obligés de rester au pays. Or, ils n’ont pas de médecins personnels chez eux. Le plateau technique est saturé. Aujourd’hui, la demande est plus forte que l’offre. On prend beaucoup de malades par rapport aux ressources humaines, il y a également un retard dans la prise en charge des autres pathologies chroniques qui faisaient régulièrement leurs bilans et leurs analyses dans nos hôpitaux. Aujourd’hui, du fait de la pandémie et de la stigmatisation, ils ont peur d’aller à l’hôpital. Le suivi fait défaut. Les gens ne vont plus à l’hôpital, sinon, à la dernière minute quand c’est trop tard », explique le médecin en service dans la ville sainte de Touba qui parle ainsi d’un concours de circonstances.
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