Près de 3,75 millions de Libanais sont appelés aux urnes ce dimanche 6 mai pour élire 128 députés, 9 ans après les dernières élections législatives. Un scrutin aux multiples enjeux.
De notre correspondant à Beyrouth,
Les élections du dimanche 6 mai se déroulent dans un contexte particulier, marqué par la guerre en Syrie, qui a provoqué l’exode vers le Liban de plus d’un million de réfugiés syriens, l’engagement militaire du Hezbollah aux côtés de l’armée gouvernementale et l’accroissement des pressions américaine, saoudienne et israélienne sur l’Iran, principal soutien du parti chiite libanais. Elles interviennent aussi un mois après une conférence d’aide internationale, réunie à Paris, le 6 avril, pour venir au chevet de l’économie libanaise au bord de l’asphyxie.
Le mandat du Parlement libanais avait été prorogé à trois reprises, en raison de la crise constitutionnelle qui a paralysé la vie politique pendant deux ans et demi, au lendemain de la fin du mandat de l’ancien président Michel Sleiman, en mai 2014.
Pas à l’abri de surprises
Les enjeux de ces élections sont d’autant plus importants que c’est la première fois que le mode de scrutin proportionnel est appliqué, dans le cadre d’une réforme censée améliorer la représentation parlementaire des Libanais. Mais l’introduction, en même temps, du vote préférentiel, a limité la portée de cette réforme. Les grands partis traditionnels, qui représentent les différentes communautés religieuses, se sont ainsi arrangés pour se tailler la part du lion. Il n’en reste pas moins que des surprises ne sont pas exclues, sans pour autant modifier les rapports de force fondamentaux.
Pour l’Etat, l’enjeu est de consacrer le retour à la normalité constitutionnelle, avec le respect des échéances électorales, particulièrement malmenées ces dernières années. L’organisation des élections est souhaitée par la communauté internationale, sur laquelle le Liban compte énormément pour financer la présence de plus d’un million de réfugiés syriens et soutenir son économie en rade, frappée de plein fouet par la guerre en Syrie.
Hariri veut rester au pouvoir
Au-delà de cet enjeu commun à toutes les composantes de la classe politique, chaque parti à ses propres calculs. Le président de la République, Michel Aoun, salue « la vertu fédératrice de la loi électorale, qui n’exclut personne ». Ces élections contribuent au « renforcement de la paix civile » dans une région en proie à des guerres sanglantes, affirme-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat.
Pour le Courant patriotique libre (CPL), fondé par le président Aoun et dirigé aujourd’hui par le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, l’objectif est de se transformer en parti d’envergure nationale. A cet effet, la plus grande formation chrétienne s’est ouverte à toutes les communautés en présentant des candidats de différentes confessions. Le CPL espère ainsi attirer dans ses rangs des musulmans, sunnites et chiites, pour donner l’image d’un parti rassembleur de tous les Libanais, quelle que soit leur appartenance religieuse.
Le Premier ministre sortant, Saad Hariri, veut, lui, rester à la tête du gouvernement. Après avoir opéré un come-back politique à l’issue de trois années de traversée du désert, marquées par un exil volontaire, son éloignement du gouvernement et l’affaiblissement de son parti, le Courant du futur, M. Hariri veut consolider sa place en tant que principal leader sunnite du pays. Il pourra de la sorte s’imposer comme favori au poste de Premier ministre.
Pour réussir, M. Hariri mène une campagne électorale dynamique dans tout le pays pour essayer de constituer le plus grand bloc parlementaire sunnite, un objectif qu’il ne lui sera pas difficile d’atteindre, même s’il aura moins de députés que dans la législature sortante. Etre reconduit à la tête du gouvernement est d’autant plus important pour M. Hariri que l’Etat, ses institutions et son administration, restent les derniers leviers lui permettant de préserver son influence et son pouvoir, après le tarissement de l’aide fournie par l’Arabie saoudite et ses déboires financiers, illustrés par la mise en faillite de Saudi-Oger, fleuron de son empire dans le royaume.
Filet de protection pour le Hezbollah
Le Hezbollah donne l’impression que ces élections constituent pour lui un enjeu existentiel. Son leader, Hassan Nasrallah, n’a jamais autant pris la parole pour mobiliser les électeurs et les appeler à participer massivement au scrutin. Son implication personnelle dans la campagne électorale pour soutenir les listes de son parti montre l’intérêt capital qu’il accorde à cette échéance. « Les questions fondamentales soulevées par ces élections portent sur l’avenir politique et économique du Liban », déclare Ghaleb Kandil, directeur du Centre du Nouveau Orient pour les études stratégiques. « Quelle sera la position du prochain gouvernement issu des élections vis-à-vis de la tutelle que les Américains et les Saoudiens veulent imposer au pays », s’interroge le chercheur.
C’est pour contrer cette tutelle présumée que le Hezbollah a jeté toutes ses forces dans la bataille électorale. Son but n’est pas seulement de faire élire ses candidats mais aussi ses alliés chrétiens, sunnites et druzes, afin de se constituer un filet protecteur transcommunautaire, qui sera un précieux soutien le moment venu.
♦ Les femmes réclament leur part
Parmi les nouveaux candidats aux élections, un record de femmes. Elles sont 86, sept fois plus que lors des dernières législatives de 2009 où elles étaient douze. Silhouette parfaite et brushing impeccable, Paula Yacoubian une star de télévision se présente sur une liste de la société civile. Elle dénonce avec force le sectarisme des candidats traditionnels : « Il y a une propagande qui divise les Libanais et qui leur dit tout le temps : « vous les chrétiens vous êtes différents des musulmans », il y a tout le temps cette alimentation de la peur. On subit une classe politique sectaire, féodale, corrompue. Il faut leur dire : « Ça suffit ! » ».
Sur une autre liste indépendante, il y a Joumana Haddad. Cette écrivaine-journaliste est une militante féministe de longue date et elle entend bien faire avancer le droit des femmes si elle est élue députée : « Les lois qui protègent de la violence conjugale, les lois qui concernent les opportunités de travail. Toutes les lois, surtout les lois du statut civil puisqu’elles sont religieuses, sont discriminatoires à l’égard de la femme. Elle est une citoyenne de deuxième degré au Liban ».
Les femmes sont nombreuses à se présenter aux législatives au Liban, mais selon une étude, elles ont été beaucoup moins visibles dans les médias, que leurs collègues masculins.
RFI