Le dossier complet du Sénégal pour l’inscription du « thiébou dieune », le plat national du Sénégal, au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO a été déposé début septembre auprès de cette institution spécialisée des Nations unies, après un long processus ayant débuté en 2019, a-t-on appris du directeur du patrimoine culturel, Abdoul Aziz Guissé.
« En février tout était presque fini, nous avions même déposé le dossier d’inscription à l’UNESCO le 30 mars, mais il manquait plusieurs éléments qui devaient être complétés au mois d’avril notamment, un documentaire de dix minutes avec les communautés à Saint-Louis, d’autres informations liées à ce qu’en pensent les ONG, les associations de femmes, de jeunes », a expliqué M. Guissé.
La pandémie du coronavirus a stoppé le travail entamé et c’est le 25 août dernier qu’un comité régional de développement (CRD) a pu être organisé à Saint-Louis sur la question, en présence des autorités administratives, territoriales et municipales, ainsi que d’une quinzaine d’associations, d’ONG et autre instituts de recherche, a-t-il précisé à l’APS.
Selon la direction du patrimoine culturel, l’objectif de cette rencontre était d’avoir l’adhésion des collectivités locales et autres associations, pour que demain, s’il doit y avoir un plan de sauvegarde, elles puissent s’impliquer.
Abdoul Aziz Guissé note que le dossier a été ainsi bouclé et déposé début septembre à l’UNESCO avec « des argumentaires phares » dont celle basé sur le constat que le « thiébou dieune » est un art culinaire qui a fini de gagner tout le Sénégal, « du nord au sud, de l’est à l’ouest ».
« On mange tous du riz au poisson qu’il soit blanc ou rouge avec différents condiments et des cuissons variables, mais ce sera toujours du thiébou dieune dans toutes les régions, les restaurants les plus huppés partout, tout le monde fait son thiébou dieune à sa façon », souligne-t-il.
Le Sénégal peut considérer avoir fait tout ce qui lui est demandé dans ce dossier, depuis que « le documentaire de dix minutes a été déposé, tout a été déposé », dit-il.
« L’organe d’évaluation de l’UNESCO a déjà reçu le dossier, on attend maintenant le prochain comité mondial de l’UNESCO pour l’immatériel pour dire oui ou non si le +thiébou dieune+ est classé sur la liste du patrimoine mondial immatériel », indique-t-il.
La date de la réunion du prochain comité n’est pas encore connue du fait de la pandémie du Covid-19. Initialement prévue à Kingston en Jamaïque, elle devrait finalement se tenir au siège de l’UNESCO à Paris (France).
M. Guissé, pour avoir travaillé à l’UNESCO « depuis quelques années » et avoir évalué « plusieurs dossiers », rassure sur le fait que celui du Sénégal « a de forte chance de passer comme la pizza italienne est passée en 2017 (…)’’.
De même que le couscous maghrébin devrait passer également, « le nôtre a toutes les chances de passer et d’être inscrit au patrimoine mondial de l’humanité », ajoute-t-il, en allusion au dossier du Sénégal sur le « thiébou dieune ».
Quatre pays du Maghreb, à savoir le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie ont déposé une candidature conjointe pour la labellisation du « couscous » par le patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO.
Avec la labellisation du « Jollof Rice », « Riz Jollof ou riz wolof », version du « thiébou dieune » au Nigéria, le retard dans l’inscription du plat national sénégalais au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO a fait craindre à certains le risque de tout perdre.
Selon le directeur du patrimoine culturel, au début, les gens disaient que le Sénégal, pour avoir laissé les Nigérians classer le « Jollof Rice », « ne pouvait plus justifier » la labellisation du « thiébou dieune ». Mais le travail de constitution du dossier Sénégal a été mené patiemment parce qu’on devait faire d’abord l’inventaire » de la question, fait savoir le directeur du patrimoine culturel.
Le Nigéria a certes labellisé le « Jollof Rice » car faisant partie des habitudes culinaires du pays, mais « ils (les Nigérians) ne l’ont pas proposé au classement pour le patrimoine culturel mondial » de l’UNESCO, a-t-il relevé.
Les Nigérians « se réjouissent déjà que le Sénégal fasse la proposition, car pour eux, si le +thiébou dieune+ est classé patrimoine mondial, le +Jollof Rice+ pourra bénéficier des retombées promotionnelles de cette inscription », a soutenu Abdoul Aziz Guissé.
« Les Nigérians nous disent : + si vous classer le thiébou dieune, ce sera une plus-value pour nous, notre Jollof Rice aura plus d’impact. Ils l’ont labélisé et le vendent très bien dans les vols nigérians, les grands restaurants, les cérémonies officielles, à l’UNESCO ils servent du Jollof Rice, c’est un label chez eux », poursuit M. Guissé.
Le « Jollof Rice », une spécialité du Nigéria et du Ghana inspirée du plat national sénégalais, est connu sous différentes appellations dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire (« riz gras ») et au Bénin (« Ceeb »).
« Les Sénégalais voyagent beaucoup, que ce soit au Nigéria, au Ghana, au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, un peu partout, il y a des restaurants sénégalais qui servaient du thiébou dieune. Aujourd’hui, ils ont leur pendant qui a la même signification que notre thiébou dieune », fait valoir M. Guissé.
L’inscription du « thiébou dieune » au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO peut avoir plusieurs avantages, selon Abdoul Aziz Guissé.
Cette perspective est de nature à booster la destination Sénégal, « car des gens vont venir à Saint-Louis pour manger du thiébou dieune comme certains vont allez à Nantes pour manger la galette bretonne », note-t-il, étant entendu que ce plat est historiquement considéré comme une invention saint-louisienne et une part de l’identité de la capitale nord du Sénégal.
« Cela va avoir un effet d’entrainement sur les autres recettes naturelles et aussi permettre de savoir que le Sénégal a un patrimoine immatériel riche sur le plan gastronomique, et cela va permettre de revisiter tous les plats nationaux. Cela va participer à la promotion du consommé local », estime Abdoul Aziz Guissé.
D’après le directeur du patrimoine culturel, d’un point de vue historique, le « thiébou dieune » est considéré comme « une réponse à la résilience, un exemple à prendre en compte dans ce contexte actuel où le monde est confronté à la pandémie du coronavirus ».
« Ce n’est pas une recette coloniale comme le pensent certains, c’est nous qui avons inventé cette recette de thiébou dieune à partir d’un riz imposé », précise Abdoul Aziz Guissé.
« Le colon a voulu imposer le riz en l’important de ses autres colonies comme l’Indochine et nous imposer la culture de l’arachide comme culture de rente’’, afin « qu’on laisse tomber les cultures vivrières au profit du riz ».
« Les gens ont travaillé dans la résilience à faire des recettes avec ce riz. On s’y est adapté et on a créé quelque chose avec ce riz qui va aller au patrimoine mondial, c’est important », poursuit M. Guissé.
Selon lui, le riz « Siam », pakistanais ou thaïlandais a été certes imposé dans le cadre colonial, mais « aujourd’hui on tend vers l’autosuffisance alimentaire en riz. « C’est une bonne chose parce que si on n’avait pas le thiébou dieune, on n’allait pas penser à avoir une autosuffisance en riz », souligne la direction du patrimoine culturel.
Le « thiébou dieune » est originaire de Nguet Ndar, un quartier traditionnel de Saint-Louis où une dame du nom de Penda Mbaye en avait inventé la recette dans une situation de résilience coloniale.
« A l’époque, la résilience était de survivre face à la colonisation, face aux cultures imposées, de trouver les ressources à la fois endogènes, locales et créatives pour pouvoir rester nous-mêmes malgré la colonisation », résume Abdoul Aziz Guissé.