Lutte: Zoheir El Ouarraqe, un frenchie chez les cow-boys

Les Championnats d’Europe seniors de lutte débutent le lundi 8 avril et durent jusqu’au 14 à Bucarest (Roumanie). Treize athlètes français sont engagés dont Zoheir El Ouarraqe qui s’est exilé aux États-Unis depuis quelques mois pour entraîner et s’entraîner à l’Oklahoma State University-Stillwater, haut lieu de la lutte américaine. Rencontre.

Machinalement, Zoheir El Ouarraqe fait tourner son téléphone portable entre ses doigts. C’est justement cet objet qui lui a permis de changer de vie. Un message envoyé à un proche de John Smith, légende vivante de la lutte, lui permet de toucher pour de vrai le « rêve américain ». En moins de 48 heures, sa vie bascule. Le voilà arrivé du côté d’Oklahoma City, célèbre pour sa culture du cow-boy.

« John Smith me connaissait un peu et j’avais fait un stage dans l’Oklahoma. Je suis passé par quelqu’un qui lui a fait part de ma demande. Le lendemain, j’avais déjà mon billet d’avion. J’ai juste eu le temps de faire mon sac », précise El Ouarraqe. Les choses s’enchaînent : l’université prend un avocat pour obtenir le visa de travail, l’appartement est déjà prêt.

De la banlieue lyonnaise à l’Oklahoma

Et grâce à John Smith, double champion olympique et quadruple champion du monde, Zoheir El Ouarraqe traverse l’Atlantique pour continuer à vivre de sa passion. Originaire de la banlieue lyonnaise, El Ouarraqe a découvert la lutte à l’école primaire et ne s’est jamais arrêté depuis.

Médaillé d’or en moins de 55 kg aux Jeux méditerranéens de 2013 et médaillé de bronze en moins de 57 kg aux Championnats d’Europe de lutte 2014, El Ouarraqe avait déjà la particularité d’avoir été sauvé par son sport. Enfance compliquée, bagarre, c’est avec la lutte que le jeune homme a trouvé le moyen de s’apaiser. « Clairement, j’ai vécu dans le milieu social le plus bas qui puisse exister. Dans la rue, j’ai vu tout ce qu’il était imaginable de voir. Si j’ai atteint le haut niveau, c’est parce que j’avais une énorme envie de réussir et que je ne voulais pas avoir faim ni porter des baskets trouées », pouvait-on lire dans L’Équipe en 2017.

Après avoir eu un « contrat image professionnel » avec la police nationale grâce à la Fédération française de lutte, au ministère des Sports et au ministère de l’Intérieur, ce qui lui permettait de s’entraîner en toute quiétude, Zoheir El Ouarraqe se retrouve au chômage. Il cherche alors une solution pour continuer sa carrière au plus haut niveau. Une première piste avec une université du Canada avait été esquissée, mais des « malentendus » avaient fait capoter le projet. Il envisage alors d’arrêter pour « passer à autre chose et gagner sa vie autrement ».

L’Oklahoma State University-Stillwater, grande équipe universitaire de lutte

À l’Oklahoma State University-Stillwater, où il y a même un musée de la lutte,  Zoheir El Ouarraqe commence à s’occuper de l’équipe de lutte NCAA (National Collegiate Athletic Association), une des plus grandes équipes universitaires de lutte aux États-Unis. Là, il sert notamment de partenaire, entraîne et s’entraîne. Il intervient aussi dans le club de John Smith.

« Ils m’ont aidé et donné envie de continuer la lutte à haut niveau, explique-t-il. John Smith me voyait lutter à l’entraînement avec les autres et m’a dit : “tu ne peux pas arrêter ta carrière comme ça. Tu dois continuer.” Maintenant je prends du plaisir à l’idée de continuer la compétition ». Aujourd’hui, Zoheir El Ouarraqe n’est plus à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep)  et n’a plus de domicile en France. Mais il continue à porter les couleurs tricolores et espère bien vivre ses premiers Jeux olympiques à Tokyo en 2020.

« Chez les cow-boys, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire à part la lutte. Mais ici,  c’est la Mecque de mon sport ».  Du haut de son mètre soixante-huit, Zoheir El Ouarraqe est un conquérant. Il s’est senti tout de suite à l’aise, et raconte avoir été « bien accueilli » et connaître déjà « pas mal de monde ». Sans compter que ses progrès en anglais lui permettent de s’épanouir chaque jour. Son seul regret : « la gastronomie française » !

La reconnaissance de l’athlète de haut-niveau

« Salut l’Américain lui lance un collègue qui passait par là ». À l’Insep où il est revenu quelques jours pour préparer les Championnats d’Europe, il est assailli de questions. Et le garçon est fier de raconter qu’il évolue dans un milieu où le lutteur est considéré comme un athlète à part entière, pas comme en France où seul, selon ses dires, le « football existe ». « Aux États-Unis, le sport est une institution. Que tu sois basketteur, lutteur, joueur de football américain, tu as le même statut. On te considère et tu peux très bien gagner ta vie. En France, c’est compliqué. » Exemple : l’université a dépensé sans rechigner 11 000 euros de frais d’avocat pour qu’il soit tout de suite en règle avec les autorités américaines.

Il faut dire que les Américains en pincent pour la lutte, sport ancestral. Ils étaient d’ailleurs montés au créneau lorsqu’à la surprise générale, en 2013, le Comité international olympique avait recommandé son éviction au programme olympique des Jeux d’été de 2020 à Tokyo. Les États-Unis, qui comptent parmi les meilleures nations, ont remporté au total 62 médailles d’or lors des championnats du monde. L’Iran, grande nation de la lutte, est à la cinquième position.

À l’Oklahoma State University-Stillwater, la lutte est une institution. Dans le pays, tout le monde connaît les « Cowboys d’Oklahoma », dans l’État d’Oklahoma, au cœur du Middle Ouest. Même le célèbre écrivain américain John Irving en fait l’écho dans un de ces romans (Un mariage poids moyen). Zoheir El Ouarraqe, premier français à entraîner là-bas, peut en être fier. Et il a certainement gardé dans son portable ce message qui va peut-être changer sa vie.

 

rfi