Macron et l’Afrique (4/5): au Sahel, une politique trop sécuritaire?

Un an après son entrée à l’Elysée, quel bilan tirer de la politique d’Emmanuel Macron à destination de l’Afrique ? Tout au long de la semaine, RFI se penche sur la question. Retrouvez chaque jour sur notre site un article sur le sujet. Après nous être penchés sur la politique migratoire de la France, gros plan aujourd’hui sur ses initiatives et son intervention militaire au Sahel. Avec cette question : la politique de la France est-elle trop sécuritaire ?

Sur ce point, il n’y a donc pas eu de rupture. Emmanuel Macron poursuit la voie tracée par son prédécesseur. Très vite d’ailleurs, le président a tenu à rassurer sur ses intentions. Le 19 mai, soit douze jours à peine après sa victoire, le nouveau chef des armées se rend à Gao, au Mali, auprès des troupes de la force française Barkhane. Une visite au cours de laquelle il confirme l’engagement militaire français dans la région.

Signe de l’importance qu’il accorde à cette question, le président ira une seconde fois à la rencontre des soldats français. Ce sera à Niamey le 22 décembre, aux côtés de la ministre des Armées Florence Parly. L’occasion pour le chef de l’Etat d’assurer que « l’effort » sera « maintenu » en 2018 pour lutter contre les groupes jihadistes au Sahel. Dès le 19 mai néanmoins, Emmanuel Macron avait prévenu : « Je n’enverrai pas nos soldats se faire tuer si tous les gouvernements responsables de la situation localement ne prennent pas l’intégralité de leur responsabilité. » Un coup de pression destiné aux Etats sahéliens et un moyen de dire que la France ne comptait pas agir seule.

La force conjointe en manque de résultats

Dans cet esprit, le président français va alors accélérer le processus de mise sur pied de la force conjointe G5 Sahel, projet initié par François Hollande. Emmanuel Macron se rend à Bamako le 2 juillet pour le lancement de la force avant de mobiliser, de la fin 2017 à début 2018, une partie de la communauté internationale autour du financement du projet.

Résultat, un premier objectif est atteint le 23 février. Les promesses de dons, évaluées à 414 millions d’euros pour la première année, devraient permettre de couvrir quasiment en totalité les coûts de fonctionnement. L’Union européenne annonce doubler sa contribution pour la porter à 100 millions d’euros. L’Arabie saoudite promet la même somme. « Il y a là au fond un contraste, analyse aujourd’hui Jean-Hervé Jezequel, le directeur du projet Afrique de l’Ouest à l’International Crisis Group (ICG), entre la capacité du président Macron à redynamiser un dossier comme celui du G5 et la réalité de terrain. Les opérations conduites par le G5 sont peu nombreuses et leur efficacité sur le terrain tarde à devenir visible. »

Car c’est bien là le fond du problème. La force conjointe n’a pas de résultats tangibles et ne semble pas près d’en avoir. Si à l’Elysée on se félicite du chemin parcouru et de l’avancée de certains dossiers – « l’Union européenne va verser les primes qu’elle devait depuis juin dernier à l’état-major, la Minusma est maintenant en capacité de pouvoir opérer un remboursement pour le volet logistique », précise un conseiller – on reconnaît, à demi-mot, toute la difficulté de rendre une telle force pleinement opérationnelle.

« On rencontre deux limites, explique un proche du chef de l’Etat. Il est difficile d’avancer avec l’Algérie qui est trop autocentrée et le niveau de défiance de la sous-région à l’égard du Mali qui est élevé. » A tel point que Bamako « n’est pas perçu » par ses voisins « comme un partenaire fiable ». Une situation qui n’est sans doute pas près de s’arranger, du moins avant la présidentielle malienne prévue pour la fin juillet. La tenue de ce scrutin tend d’ailleurs la situation sur place.

« On constate depuis deux mois une recrudescence des actions armées, note Jean-Hervé Jézéquel. C’est probablement lié à la tenue des élections. Il s’agit (pour les groupes armés) de récupérer le plus grand nombre de territoires. » Les attaques au Mali ou dans le nord du Burkina Faso sont désormais quasi quotidiennes. Et ni la force conjointe, ni Barkhane, ni l’armée malienne ne parviennent à les endiguer.

Trop sécuritaire la politique française ? Un raccourci selon l’Elysée

Du coup, certains spécialistes s’interrogent : la stratégie est-elle la bonne ? En d’autres termes, la France ne mène-t-elle pas dans la région une politique trop sécuritaire ? C’est le point de vue d’un collectif de chercheurs.

Dans une tribune publiée le 21 février dans le quotidien Le Monde, ces derniers appellent la France à « rompre avec la rhétorique martiale qui prévaut au Sahel ».

A leurs yeux, « non seulement l’empilement » des interventions sécuritaires (Barkhane, G5 Sahel, Minusma, mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), mission civile de l’Union européenne (EUCAP) et opérations des forces spéciales américaines) « n’a pas amélioré la situation sur le terrain, mais il suscite le malaise des opinions publiques malienne et nigérienne de plus en plus rétives à ces présences militaires étrangères ». « Ce qu’on constate depuis maintenant plusieurs années, ajoute Jean-Hervé Jezequel, de l’ICG, et membre de ce collectif, c’est que les dossiers politiques autour de l’accord de paix signé à Bamako il y a maintenant presque trois ans n’avancent plus. Et comme le volet politique n’avance pas, ce sont les opérations militaires qui sur le terrain sont chargées de constituer la réponse principale aux insurrections de groupes jihadistes qui se sont étendus ces dernières années. »

Le militaire a donc pris le pas sur le politique ? « C’est quand même un raccourci qui ne rend absolument pas compte de ce qu’on est train de faire, se défend-on à l’Elysée. On essaye de rééquilibrer l’approche qui était effectivement très sécuritaire jusqu’à mai dernier et qu’on a assortie d’un effort de développement avec des nouveaux moyens et aussi des nouvelles méthodes. »

Barkhane: une stratégie d’association qui pose question

L’entourage d’Emmanuel Macron met ainsi en avant l’Alliance pour le Sahel, initiative lancée en juillet dernier par la France et l’Allemagne (avec l’Union européenne, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et les Nations unies) et qui devrait bientôt délivrer « des résultats intéressants ».

Une quinzaine de projets de 5 à 15 millions d’euros serait ainsi « dans les tuyaux » dans la zone des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso). Quant au volet politique, il n’a pas été laissé de côté, assure-t-on du côté de la présidence. « Quand le nouveau Premier ministre malien a pris ses fonctions [en janvier dernier], dans les messages qu’on lui a passés, il y a eu une demande claire de réactiver le dialogue avec la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad), ce qu’il a fait de manière assez intense notamment en se rendant à Kidal, explique une source élyséenne. Et dans le centre, on a mis la pression sur le Premier ministre pour que l’approche des autorités maliennes ne soit pas seulement sécuritaire. »

Reste que la stratégie menée par Barkhane ces dernières semaines commence à faire polémique. Dans la région de Menaka au Mali, les forces françaises ont décidé d’opérer aux côtés des mouvements armés MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad) et Gatia (Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés) pour éradiquer les djihadistes de la région. Or, ces groupes sont soupçonnés d’exactions.

« Beaucoup de rumeurs circulent, avançait le général Bruno Guibert, commandant de la force Barkhane, dans les colonnes de L’Express le 20 avril dernier, expliquant n’avoir été témoin d’« aucune de ces prétendues exactions ». « Nous débutons toutes nos opérations communes par des séances de formation initiale et de rappel des règles de comportement », assurait-il dans l’hebdomadaire avant d’ajouter : « Et sachez que nous n’accepterons jamais l’inacceptable ». A Suivre…

 

RFI