Voilà des années que nous exigeons la fin du CFA pour tout ce qu’il représente dans l’Afrique postcoloniale. Les premiers États qui ont voulu une indépendance totale ont été coulés sans ménagement pour servir d’exemple à d’autres velléités d’entrave aux liens économiques séculaires que la France entretenait avec ses anciennes colonies. Les grands leaders africains qui ont porté ce projet de gouvernance ont été éliminés par coup d’État voire physiquement. Des activistes ont été récemment arrêtés manu militari pour avoir poursuivi ce combat. Tout ceci pour dire qu’il était temps de tourner la page du CFA qui est né en 1945. Quand ce passage à l’ECO arrive, cela doit être un grand moment ; un instant historique où on s’attend à ce que le travail d’appropriation par les populations ait été largement amorcé ; un grand rendez-vous entre les présidents africains et leurs populations qui montrerait le visage d’une Afrique qui a pris son destin en main. Mais, pour nous qui suivons l’actualité au jour le jour, nous avons été pris de court par le moment et le cadre choisi pour faire la déclaration solennelle de la fin du CFA. A bien suivre le scénario, je ne sais pas ce qu’il y a de plus choquant. Il y avait comme un air de complot qu’on essaie de maquiller en révolution majeure. Tout d’abord, rien de cette importante information n’a été mentionnée dans l’agenda du président Macron qui se rendait en Côte d’Ivoire ; on a pu juste lire des rendez-vous économiques et militaires. Et voilà que l’opinion africaine découvre que le voyage cachait l’annonce de l’arrivée de l’ECO version Macron-Ouattara. Il apparaît aussi que la presse française était bien au parfum de ce qui se tramait contrairement à celle des 8 pays de l’UEMOA concernés par cette mesure. On a perçu les effluves de combines mélangées à de la légèreté dans le traitement de ce dossier durant cette journée qualifiée d’historique. Ces événements symbolisent à souhait toutes les causes des colères de la jeunesse africaine vis-à-vis de leurs gouvernants et, par ricochet, le ras-le-bol de la françafrique. Alors, on se demande ce qui s’est réellement passé pour en arriver à cet ECO ? Surtout qu’est-il advenu de l’ECO de la CDEAO ?
Ces moments importants dans la vie d’une nation devraient être traités avec solennité. J’entends par là que le président, le premier ministre et toutes les institutions financières étatiques devraient être investis de la mission d’informer le peuple et d’apporter toutes les réponses aux questions que les citoyens sont en droit d’attendre de leur part. Il y a aussi un aspect très important dans la fin du CFA, c’est une demande des activistes et de la jeunesse africaine. Il aurait été important que les présidents disent qu’ils ont entendu cette demande, qu’ils arrêtent de les diaboliser et de les bannir en les emprisonnant ou en les renvoyant de leur pays. Mais on a plutôt l’impression que c’est le président français qui est aux manettes de la prise en compte de cette colère sociale et non nos présidents, indifférents qu’ils sont ou occupés à trouver les voies et moyens de rester au pouvoir. Comprenant qu’une page d’histoire était en cours d’écriture, le ministre français de l’économie et des finances n’a pu s’empêcher d’envoyer un tweet à la première personne pour s’arroger la paternité de l’acte.
Dans le fond on nous annonce des changements et on en élude les vrais soubassements.
-le franc CFA aura un nouveau nom et s’appellera ECO avec la même parité fixe avec l’euro
– les réserves de change de l’UEMOA sont gérés par la BCEAO : nos pays ne seront plus obligés d’en déposer la moitié au Trésor français ; ceci entraînera la fermeture du compte d’opérations, un compte spécial ouvert dans les livres du Trésor, par lequel ces devises transitaient
– il n’y aura plus de représentants français dans le conseil d’administration de la BCEAO.
Tous ces changements sont importants devraient être effectifs courant 2020. Commençons donc par apprécier le mouvement vers la souveraineté monétaire qui vient de s’amorcer. Cependant, des zones d’ombres subsistent, car nous savons que les États n’ont pas d’amis mais que des intérêts. Par exemple, l’État français reste garant et s’engage à prêter des devises, si la zone venait à en manquer ; on peut dès lors se demander quelle est la contre partie financière ou stratégique de ce service. De même, que signifie la notion de nouvel accord monétaire entre (toujours la France) et la BCEAO ? Pourquoi pas avec la BCE (Banque Centrale Européenne) ?
En résumé, la zone reste encore sous tutelle française qui maintient un pouvoir de répression monétaire sur ces pays. C’est là une des raisons pour lesquelles le Ghana et le Nigéria n’ont pas adhéré à ce projet qui, pour l’instant, est plus cosmétique que réellement panafricain. Nous craignons même qu’elle finisse par torpiller le vrai projet d’intégration monétaire de la CEDEAO.
Par Ndèye Fatou Ndiaye Blondin