Les prochaines élections locales se tiendront-elles, comme prévu, le 1 décembre 2019 ? L’incertitude est totale. Voici pourquoi.
Dans son rapport final, la mission d’observation de l’Union européenne pour la présidentielle sénégalaise du 24 février 2019 préconise « l’abandon du parrainage-citoyen pour les élections locales, dont l’application poserait des problèmes politiques et organisationnels sérieux ».
Sacrilège ! s’est écrié le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, organisateur des élections et non moins maire Apr (parti au pouvoir) de Linguère. « Au lieu de se limiter à évaluer la présidentielle, l’Union européenne s’est offerte le luxe permissif de se projeter sur les prochaines élections locales en essayant de donner des leçons au Sénégal qui est un État souverain », rejette le ministre.
La polémique entre pro et anti-parrainage s’en trouve ainsi relancée. Mais, le problème est plus sérieux.
Même si le ministre de l’Intérieur, astreint par la loi électorale, vient de fixer le montant de la caution (20 millions de francs Cfa), le respect de la date du 1 décembre pour la tenue des Locales, déjà reportées de six mois, semble plus que jamais compromis.
Le temps presse. Six mois avant un scrutin, la Cedeao ne tolère aucune modification des règles du jeu électoral, si ce n’est sur la base d’un consensus fixé par les acteurs. Le coordonnateur du dialogue national, Famara Ibrahima Sagna, est interpellé.
« L’une des premières équations que devra résoudre la commission cellulaire pour le dialogue politique, c’est la tenue des élections locales, signale l’expert electoral Ndiaga Sylla, sur le plateau d’Objection de Sud Fm le 19 juin dernier. Il va falloir rapidement trancher. L’équation réside en deux éléments : choisir entre mener les nécessaires réformes liées à notre système électoral qui touchent aussi les élections locales et respecter le calendrier républicain. »
La deuxième option de l’alternative est irréalisable, de l’avis de Babacar Fall, le secrétaire général du Groupe de recherche et d’appui-conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec).
Il argumente : « Aujourd’hui, on ne peut plus tenir les Locales à la date indiquée (1 décembre 2019). La loi électorale dit que le ministre de l’Intérieur devra, 150 jours (5 mois) avant le scrutin, fixer le montant de la caution qui est étendue aux Locales de même que le parrainage. Ensuite, il faut déposer les listes 80 jours avant le scrutin et avant cela, il faut observer les délais que requiert le processus du parrainage. »
Un nouveau report est donc inévitable au vu des contraintes liées aux préalables techniques et organisationnels.
Mais le non-respect du calendrier républicain pour les élections locales est devenu presque une règle au Sénégal. Depuis 35 ans (1984), les conseils municipaux et départementaux (et ruraux avant la communalisation intégrale) n’ont jamais été renouvelés à date due. Et pour cause. Pour le secrétaire général du Gradec, la perte des locales est, souvent le début de la fin pour les partis ou coalitions au pouvoir. Il cite en exemple les locales de 2009, qui ont « sonné le glas » du pouvoir de Wade, qui tombera trois ans plus tard, en 2012.
Parrainage et mode d’élection des maires
Le report des prochaines locales est d’autant plus inévitable que le système électoral, précisément en ce qui concerne le parrainage et le mode d’élection des maires, mérite d’être reformé. Le débat fait rage, sur ce plan, entre pouvoir et opposition. Si le premier camp plaide pour une « amélioration » du parrainage, l’autre penche, comme l’UE, pour un abandon pur et simple de cette loi.
« Il vaudrait mieux maintenir le parrainage, mieux l’encadrer à l’effet de rationaliser les élections plutôt que de l’abandonner sous prétexte des difficultés organisationnelles, défend Pape Maël Thiam, administrateur de l’Apr. On a plus de difficultés à organiser des élections avec des milliers de listes (2700 lors des dernières Locales de 2014) qu’à gérer des parrainages de manière optimale. Pour moi, c’est ‘soul bouki souli bouki’ (déshabiller Pierre pour habiller Paul). »
Le Front de résistance nationale (Frn, opposition) ne l’entend pas de cette oreille. Babacar Fall, non plus. Qui estime que l’application du parrainage aux locales risque d’être compliquée puisque le spectre sera réduit et que les listes d’une même localité devront toutes puiser dans le même vivier. « Il y aura beaucoup de doublons », prévient l’expert électoral.
S’agissant du mode d’élection des maires encadré par l’article 95 du Code général des collectivités locales, les acteurs politiques sont quasi unanimes sur la nécessité de le réformer. Ceci dans l’optique de conférer plus de légitimité aux édiles.
Président de l’Association des maires du Sénégal (Ams), l’édile de Guédiawaye, Aliou Sall, est de cet avis. Il dit : « Il faut repenser le mode de scrutin des élections municipales. La tête de liste désignée et vainqueur doit être élu d’office maire. Parfois, on élit maire quelqu’un qui n’est pas choisi par les populations. Le conseil municipal doit être une sorte de Parlement. »
D’autres visent le même résultat, mais vont plus loin. Ils plaident pour une élection des maires au suffrage universel direct. Une option qui place le mandant au centre du processus de désignation de son mandataire, mais comporte un effet pervers, d’après Babacar Fall du Gradec : « En cas de décès, d’empêchement définitif ou de révocation du maire, il va falloir organiser des élections partielles dans cette localité pour élire un nouveau maire. » ce qui n’est pas une mince affaire dans un pays où la rationalisation des dépenses électorales est une préoccupation majeure.
Dans tous les cas, défendent de nombreux experts, il faudra tirer le bilan des cinq années d’application de l’Acte 3 de la décentralisation. Cette réforme devait conférer plus d’autonomie, financière et politique, aux collectivités locales, consacrer « des communes viables », mais elle tarde à atteindre son but. Plusieurs maires et présidents de conseils départementaux, du pouvoir comme de l’opposition, s’en offusquent. Déplorant, entre autres problèmes, l’absence de fiscalité propre et la dépendance des collectivités locales aux fonds de dotations et concours. Tous plaident pour une réforme de la réforme avant de nouvelles Locales.