Le 53e Salon international de l’aéronautique et de l’espace se déroule au Bourget, près de Paris, du 17 au 23 juin. Ce rendez-vous très attendu par les professionnels du secteur s’ouvre sur une double thématique : le transport aérien, avec les turbulences liées aux accidents à répétition des Boeing 737MAX, et la construction de l’Europe de la défense autour d’un ambitieux projet d’avion de combat franco-allemand.
Au total, 140 000 visiteurs professionnels, des responsables politiques, des industriels et des militaires vont se croiser dans les allées du Salon du Bourget durant une semaine. Les patrons des différentes divisions des avionneurs Airbus et de Boeing sont présents dans la capitale française depuis quelques jours avant d’entrer dans le vif du sujet dès ce lundi 17 juin au matin.
« Les vedettes sont les exposants. Toute la filière expose au Salon du Bourget. Les industriels, les PME et les sous-traitants viennent du monde entier, explique Gilles Fournier, le directeur général délégué du Salon. Les militaires japonais vont présenter le C-2, un avion de transport militaire. Mais historiquement, la délégation du ministère américain de la Défense (DoD) est la plus forte ».
« Les Américains ont toujours été les plus représentés au Bourget, rappelle-t-il également. Toute l’industrie russe est également présente. Mais à cause du régime de sanctions imposées après la crise ukrainienne, les spectaculaires chasseurs Soukhoï et les Mig ne viennent plus. J’espère que tout cela prendra fin un jour et qu’on retrouvera les Russes dans le ciel du Bourget ». Trois cents délégations étrangères, composées pour moitié de civils et de militaires, sont attendues au Salon du Bourget, précisent les organisateurs.
Avions de combat européen ou nord-américain ?
Le salon est traditionnellement inauguré par le président de la République. Emmanuel Macron assistera ce lundi matin à la cérémonie de lancement d’un avion de combat « futuriste » devant équiper les armées européennes dans 20 à 25 ans dans le cadre d’un très large programme de défense européen baptisé « SCAF » pour « Système de combat aérien du futur ». L’avion de chasse pourrait recevoir un nom de baptême pour l’occasion. Pour l’instant, il ne s’agit que d’une maquette. Dassault et Airbus, dont les stands se font face depuis toujours, ont accepté de travailler ensemble sur ce programme, initié en 2017 sur la base d’une volonté politique.
Chez l’industriel Dassault, on espère un coup d’accélérateur dans les semaines à venir. « On est impatient de démarrer réellement le travail plutôt que de faire du papier et encore du papier, explique Eric Trappier, le président de Dassault Aviation. Il faut que les États partenaires [la France, l’Allemagne et l’Espagne] mettent en place les budgets et les structures permettant de passer les contrats. Il est urgent de donner du travail à une nouvelle génération d’ingénieurs. On espère faire voler un appareil expérimental à l’horizon 2025 pour valider les technologies du SCAF. Mais si on perd du temps, on aura du mal à être au rendez-vous qui nous a été fixé en 2040 pour la livraison d’un avion de guerre opérationnel ».
►À (ré)écouter : Les multiples défis du projet d’avion de combat franco-allemand
Chez Airbus, une entreprise avec une longue expérience en matière de coopération européenne, on rappelle qu’« il faut toujours du temps pour mettre en place un nouveau programme ». Les observateurs attendaient une signature des contrats d’études pour le Salon du Bourget pour un montant de 160 millions d’euros, mais une source proche du dossier indique qu’il faudra probablement attendre la fin de l’été. « C’est un peu compliqué, concède Yann Derocles, analyste financier au sein de cabinet Oddo-BHF et spécialiste du secteur. Il y a des problématiques politiques en Allemagne [la démission de la présidente du SPD met en péril la coalition d’Angela Merkel] qui ne permettent pas d’accélérer les choses comme les industriels le souhaiteraient. On l’a déjà vu sur le premier contrat, où la France a dû, d’une certaine manière, faire une avance sur la partie allemande. Aujourd’hui, Berlin n’est pas vraiment moteur sur ce programme ».
À la tête de la Direction générale de l’armement (DGA), l’agence qui gère les grands programmes de défense en France, Joël Barre assurait vendredi 14 juin lors d’un forum organisé à Paris par la presse économique qu’il n’y avait pas de « point bloquant sur le SCAF ». Mais à Paris, on rappelle qu’il faudra s’entendre sur « la question des futures règles d’exportations » de cet avion de combat construit en commun, sans quoi la viabilité du projet pourrait être fragilisée. Le programme SCAF va nécessiter des investissements colossaux : il faudra des dizaines de milliards d’euros sur des décennies pour financer ce nouvel avion de combat.
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Direction générale de l’armement
@DGA
Bientôt l’ouverture du @salondubourget, l’occasion de faire un saut dans le futur et découvrir en avant-première le combat collaboratif nouvelle génération du #SCAF avec la #DGA, @EtatMajorFR @Armee_de_lair et @MarineNationale
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19:06 – 14 juin 2019
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Des choix qui seront faits dépendront la structuration future des industries européennes de défense, ainsi que les capacités militaires sur lesquelles pourront compter à l’avenir la France et l’Allemagne. Pour l’heure, en dépit des pressions américaines, la chancelière Angela Merkel a écarté l’option visant à acheter des avions de combat américains F-35. Mais le constructeur Lockheed-Martin, appuyé par l’administration américaine, ne cesse de gagner des parts de marché en Europe. La semaine dernière, à l’occasion de la visite du président polonais Andrzej Duda à Washington, Donald Trump a révélé l’achat par Varsovie d’une trentaine de F-35 avant qu’un exemplaire de cet avion ne survole la Maison-Blanche pour fêter le contrat annoncé.
Au Bourget, le ministère américain de la Défense a décidé d’exposer deux F-35 qui, toutefois, ne devraient pas être présentés en vol, d’après les organisateurs. Lockheed-Martin part également en chasse dans des pays qui ne sont pas à part entière des alliés stratégiques des États-Unis, comme la Suisse, où l’avion a été testé ces dernières semaines à grand renfort de publicité. Selon les experts aéronautiques, l’appareil américain serait encore loin d’être pleinement opérationnel, mais il sera probablement débarrassé de ses défauts de jeunesse, quand l’avion de combat franco-allemand du programme SCAF entrera en service dans 20 ou 25 ans. Problème : d’ici là, l’avion nord-américain vendu 100 millions de dollars pièce, aura peut-être déjà raflé une bonne partie des parts de marchés dans les rares pays disposant d’avion de combats aussi sophistiqués.
Kérosène ou électrique ?
L’américain Northrop-Grumman ne vient plus au Bourget depuis plusieurs années pour des raisons économiques. De son côté, après la crise du 737 MAX, le géant Boeing ne peut pas se permettre de rater son retour sur scène. Le Salon du Bourget est le premier grand salon international depuis l’accident d’Ethiopian Airlines qui, en mars dernier, a mis en lumière le manque de fiabilité d’une partie des systèmes du Boeing 737MAX et a conduit à l’interdiction temporaire des vols de l’ensemble de la flotte.
Le constructeur de Chicago aura à cœur de rassurer ses clients et va contre-attaquer dès lundi matin au Bourget avec des annonces commerciales et un calendrier pour tenter de sortir de la crise. « La crise du 737 MAX a un impact sur presque toute l’industrie, avec un sujet essentiel pour toute la filière, celui de la sécurité aérienne, assure Alain Guillot, expert aéronautique au sein du cabinet Alix Partners. Il est trop tôt pour déterminer ce qui se passera, mais regagner la confiance des passagers sera un véritable défi pour l’ensemble de l’industrie ».
Le secteur de l’aérien est un peu déboussolé en ce moment, laisse entendre Yann Derocles d’Oddo-BHF : « On le voit depuis le début de l’année sur le secteur civil, avec la problématique de la suspension des vols du 737MAX, qui pousse certaines compagnies aériennes à retarder leurs prises de commandes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les carnets de commandes des constructeurs d’avions sont pleins. Donc aujourd’hui, une compagnie aérienne qui souhaite acheter par exemple un Airbus A320 doit attendre 2023 pour avoir des créneaux de livraison disponibles ».
L’autre source d’inquiétude pour les acteurs du secteur pourrait venir des projets de taxations du kérosène. Les experts considèrent que l’aéronautique représente 2% des émissions globales de CO2, taux qui devrait doubler d’ici 2040. Or, le secteur vise en 2050 une réduction de 50% de ses émissions par rapport au niveau de 2005. Au salon, de très nombreuses solutions « alternatives » seront présentées sur les stands tels que des avions hybrides ou électriques, mais il ne s’agit le plus souvent que d’études préliminaires. « À court terme, rien n’existera pour remplacer les réacteurs et le kérosène sur un avion de ligne » assurent les experts. « Des progrès ont été enregistrés en vue de réduire la consommation et les émissions ces 20 à 30 dernières années, mais l’objectif était surtout de réduire la facture énergétique des compagnies aériennes » assurent même les plus cyniques.
« Une nouvelle taxation viendrait fortement perturber l’activité, souligne Yann Derocles. Pour l’instant, on en parle beaucoup en Europe et en Chine. Il n’y a pas d’autres zones où l’on assiste à une mise sous pression aussi forte autour de la question l’urgence climatique. À moyen terme, c’est certainement la préoccupation majeure de l’industrie, car cela pourrait faire dérailler la croissance de cette activité. La mise en place des règles particulières en termes d’émissions ou une forte augmentation des tarifs des billets aura un impact sur la demande, en particulier sur la clientèle de loisir. C’est une thématique à surveiller, mais on ne voit pas à court terme quelle rupture technologique permettrait d’aboutir à des réductions drastiques de consommation de carburant ». Airbus avait fait voler il y a quelques années l’E-FAN, un petit avion 100% électrique et très silencieux. Le constructeur européen a depuis décidé d’étudier des solutions hybrides. Il pourrait lancer un nouveau laboratoire volant dès l’année prochaine avec un moteur électrique monté sur un avion de ligne modifié.