Le directeur exécutif d’Amnesty Sénégal, Seydi Gassama a soutenu que la peine de mort, réclamée par des Sénégalais, à la suite du « viol suivi de meurtre » d’une jeune fille de 23 ans à Tambacounda, à l’est du Sénégal, « ne sert qu’à la vengeance ». Il a appelé les autorités du pays à faire justice sur cette affaire et sur d’autres cas similaires.
Qu’avez-vous ressenti après avoir appris le meurtre de la jeune fille Bineta Camara à Tambacounda ?
Nous sommes très peinés du meurtre de cette jeune femme à Tamba. Un meurtre particulièrement violant, car elle aurait été violée ensuite et tuée. Dans la même journée nous avons appris qu’il y a eu un cas similaire à Ouakam. La caractéristique de ces victimes est que les deux sont des femmes et donc une personne fragile. Ce sont des crimes qui sont choquants qui méritent une réponse rapide de la part des autorités. Il faut que la police ou la gendarmerie recherchent très rapidement les auteurs de ces meurtres et les mettent à la disposition de la justice. Je crois que c’est ce que les Sénégalais attendent et c’est ce que nous nous attendons en tant que organisation des droits de l’homme.
Croyez-vous que justice sera faite sur cette affaire, si on sait que souvent la justice sénégalaise est remise en question ?
Je crois que dans toutes les affaires de crime de meurtres, la justice a fait son travail. Elle l’a fait avec beaucoup de sévérité. Donc nous attendons à ce que ces personnes soient retrouvées. Le défi pour la police et la gendarmerie c’est de les retrouver très rapidement. Il faudrait que tous les moyens à la disposition de ces corps soient utilisés y compris la police scientifique pour retrouver ces personnes et les traduire en justice. C’est vraiment une exigence que des crimes de cette nature soient impunis, parce que c’est leur impunité qui va évidemment encourager les crimes.
Justement, certains sénégalais comme Aliou Sow, ancien ministre, plaident pour le rétablissement de la peine de mort. Qu’en pensez-vous ?
A chaque fois qu’il y a des meurtres de ce genre, le débat sur la peine de mort revient au Sénégal. Et d’ailleurs ce n’est une particularité au Sénégal, c’est dans tous les pays du monde. Même en France, à chaque fois qu’il y a eu des crimes crapuleux, évidemment les gens demandent à ce que la peine de mort soit rétablie. La question qu’il faut se poser, c’est est-ce que dans les pays où il y a la peine de mort, il n’y a pas de tels crimes. La réalité c’est que dans ces pays où on exécute les gens, des crimes aussi abominables sont commis tous les jours.
La peine de mort ne sert qu’à la vengeance. Lorsqu’il y a un tel meurtre, ce que le public veut, c’est la vengeance. Que l’Etat venge la personne en exécutant le meurtrier. Nous considérons que la peine de mort ne règle pas la question de la criminalité, parce que dans les pays où elle est appliquée la criminalité existe. Il faut faire en sorte que les meurtriers soient sévèrement punis. Je pense que pour tous les cas de viol suivi de meurtre, on peut revoir les peines. On peut faire en sorte que ces personnes n’aient jamais de remise de peine ou de grâce. Qu’elles soient condamnées à passer leur vie en prison. Ce sont des personnes extrêmement dangereuses qui pourraient récidiver et il faut prémunir la société contre elles.
Quel appel lancez-vous aux proches des victimes et aux Sénégalais en général ?
Nous disons aux proches des victimes qu’ils ont tout notre soutien et notre peine face à l’épreuve qu’ils sont en train de traverser. Nous même nous sommes des Sénégalais et dans nos propres familles nous avons connu de genre d’expérience. Personnellement, j’ai connu ce genre d’expérience dans ma propre famille. Un meurtre de la même nature. C’est une épreuve extrêmement difficile face au quelle, il faut avoir la foi en Dieu et en l’Etat du Sénégal.
Pouvez-vous nous expliquer cette « expérience douloureuse » que vous avez connue ?
Il y a un cas extrêmement célèbre que tout le monde connait au Sénégal. Je ne veux pas personnaliser l’affaire, mais les gens pensent généralement que si ces cas de meurtres étaient arrivés aux familles des défenseurs des droits humains, ils auraient changé de vue. Mais ce n’est pas vrai. Chacun de nous a connu ce genre d’expérience. Il y a quelques années à Richard Toll (ville du nord-ouest du Sénégal) ma propre cousine a été assassinée dans sa maison.
Elle avait organisé une kermesse pour soutenir une école, elle a amené la cagnotte chez elle car la kermesse est terminée très tard. Le soir on est parti la trouver chez elle. Elle a été assassinée à plusieurs coups de couteaux. Elle était seule avec son fils dans la maison et ce dernier a passé la nuit sur des flaques de sang de sa maman. Aujoud’hui encore l’affaire est pendante devant le tribunal de Saint-Louis. Bientôt dix ans, la justice sénégalaise n’a pas réussi à tirer cette affaire au clair.