L’œuvre de Sophie Calle, grand nom de l’art contemporain, ne laisse jamais indifférente. Son travail d’artiste consiste à faire de sa vie, et notamment des moments les plus intimes, une œuvre singulière. À 65 ans, les musées de Marseille la mettent à l’honneur dans cinq expositions. Elle vient aussi de sortir un ouvrage, « Que faites-vous de vos morts », d’après des témoignages recueillis auprès des visiteurs de ses expositions. Muriel Maalouf l’a rencontrée dans la ville phocéenne au musée de la Vieille Charité où est programmée l’une des expositions qui prend sa source dans la mort de sa mère.
RFI : Que faites-vous de vos morts ? C’est le titre de votre dernier ouvrage et cette question vous l’avez posée aux visiteurs d’une de vos expositions au musée de la Chasse et de la Nature à Paris. Est-ce que certaines réponses vous ont surprises ?
Sophie Calle : C’est l’ensemble qui m’a surpris. Au début, j’avais mis ces livres d’or comme ça, sans trop savoir à quoi m’attendre. Et je me suis dit : si les réponses étaient suffisamment intéressantes, j’en ferais un livre par la suite. Et, en fait, il y avait des réponses merveilleuses. Tout le monde répond par un angle totalement différent. Il y en a qui les « mangent », il y a des dessins d’enfants, il y a parfois des petits mots tout simples qui disent : « je les retiens ». Il y en a qui disent : « je leur pardonne ». D’autres : « je ne leur pardonne pas ».
Quelqu’un a écrit : « pas de l’art ». Est-ce que cela met en question votre travail ?
Oui. Cela m’a fait rire. Il y en a plusieurs qui sont semi-agressifs ou provocateurs. D’autres m’ont dit : « je les laisse en paix, vous devriez faire de même ». Mais, évidemment, je m’en sers aussi…
La mort est quelque chose qui vous accompagne depuis longtemps.
Pas que moi. Déjà, j’habitais dans le 14e arrondissement de Paris, du côté du cimetière de Montparnasse. Et j’allais à l’école de l’autre côté. Je traversais ce cimetière quatre fois par jour. C’était vraiment mon jardin public.
La mort n’est pas nécessairement un sujet dont on aime parler. La mort, elle ne vous fait pas peur ?
Si, sûrement. J’imagine, quand elle se rapprochera, elle va me faire de plus en plus peur. Mais, peut-être ces promenades dans le cimetière – mon père aussi était médecin-cancérologue et il côtoyait la mort, et il en parlait.
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Vous mêlez souvent les questions intimes, la réalité, à des projets qui deviennent aussi des fictions où les frontières sont brouillées. Qu’est-ce que pour vous l’intime ?
Je n’ai pas l’impression de relever ma vie intime. J’ai l’impression d’utiliser des moments de ma vie, c’est-à-dire, ce que je raconte, je ne l’ai pas inventée, ce m’est arrivé. Mais, je m’en sers d’une minute particulière ou d’un geste particulier, mais pas de ma vie. Je ne tiens pas de blog, je n’ai pas de page Facebook et tout cela… J’utilise un moment dont je pressens que l’histoire ou l’image vont fonctionner qu’il soit dans une page d’un livre ou sur le mur. Ce que je raconte arrive à tout le monde. Ce n’est pas la mort, c’est l’absence, le manque des gens qui ne sont plus là, un homme qui me quitte, ma mère qui meurt. Je n’utilise pas toujours ma vie. Par exemple, le projet que j’avais fait sur les aveugles et lesquels j’avais demandé : quelle est la plus belle chose que vous avez vue ? Ou la dernière image dont ils se souviennent avant d’être devenus aveugles. Mais, c’est vrai, un sujet sur deux ou trois, je m’en sers des événements de ma vie.
Que faites-vous de vos morts ? est votre dernier ouvrage, un livre-objet, un très beau livre. Pour vous, un livre, est-ce aussi un objet artistique ?
Oui, moi, j’essaie toujours de faire, parallèlement, le livre et l’expo. J’ai un rapport très différent aux deux. J’ai un rapport plus sensuel, plus facile, plus évident au livre. Donc, le livre, c’est une évidence.
Les lieux des cinq expositions sur Sophie Calle (du 26 janvier au 22 avril) produites par les musées de la Ville de Marseille :
- musée Grobet-Labadié,
- musée des Beaux-Arts,
- Muséum d’histoire naturelle,
- Chapelle du centre de la Vieille Charité,
- Château Borély.