L’opposant tchadien Succès Masra réclame à la Cour pénale internationale l’ouverture d’une enquête au sujet des événements du 20 octobre. Ce jour, la répression d’une manifestation a fait officiellement, 50 morts et plus de 300 blessés. Les organisations de la société civile jugent que le bilan est bien plus lourd.
Les avocats de Succès Masra estiment que les indices qui leur ont été transmis laissent penser qu’un crime contre l’humanité est en voie d’être commis au Tchad et que la CPI est donc compétente pour ouvrir une enquête. D’où ce signalement, une action « extrêmement forte », selon l’avocat Vincent Brengarth, co-conseil de Succès Masra, qui estime qu’il faut « passer à la vitesse supérieure ».
« Et cette vitesse supérieure, c’est aussi la contrainte que peut exercer un juge pénal lorsque les faits le justifient. Et c’est en l’occurrence le cas. Je pense qu’on ne peut pas tolérer que la situation perdure et on ne peut pas tolérer qu’un régime politique puisse se maintenir en réprimant l’opposition », explique-t-il.
Selon l’avocat, cette demande est la suite logique des réactions de la communauté internationale. « Les différentes réclamations et les différentes alertes qui ont été faites par les organisations internationales, mais aussi par le Haut-commissariat des Nations unies doivent connaître aussi une traduction un peu plus contraignante et cette traduction contraignante, c’est un pouvoir que peut avoir la Cour pénale internationale », estime-t-il.
Pour lui, une enquête de la CPI serait aussi un message : « Bien montrer et réaffirmer aux autorités tchadiennes qu’elle exerce un contrôle extrêmement étroit sur ce qui se passe et que rien ne peut tolérer les agissements qui sont à l’œuvre depuis maintenant plusieurs mois ».
« Nous devons jouer notre rôle dans la société »
De son côté, le régime a notamment accepté une mission d’enquête internationale sur les événements du 20 octobre. Et dans le pays, de nombreuses organisations tentent d’aider la population par divers moyens depuis les violences du 20 octobre, rapporte notre envoyé spécial, Sébastien Nemeth.
Pour apporter un soutien juridique, des corporations se mobilisent. C’est le cas du barreau des avocats, des chambres des huissiers et des notaires. Les trois ont ouvert une cellule de veille juridique et judiciaire à Ndjamena pour les habitants.
Ici, avocats, huissiers et notaires recueillent les témoignages, les vérifient sur le terrain et conseillent la population sur les démarches. Une tâche difficile tant la charge émotionnelle est forte. « C’est le choc qui a conduit à mettre sur pied cette cellule. Il était impossible d’être indifférents. Nous devons jouer notre rôle dans la société. Nous recevons des gens très choqués qui finissent en pleurs. Et pouvoir conjuguer les émotions et l’objectivité, ce n’est pas très évident. Des fois, il y a des récits qui ne sont pas du tout faciles à supporter » témoigne Me Frédéric Dainonet Jou-hinet, président de la commission droits de l’homme du barreau.
Certificat de décès ou médical, constat de disparition… La cellule oriente vers des procédures essentielles, mais parfois méconnues. Et les besoins sont tels que d’autres cellules doivent ouvrir en province, car le travail englobe aussi les exactions encore commises aujourd’hui, comme les disparitions forcées.
Depuis plusieurs jours, Auguste recherche désespérément son cousin, taxi et membre des Transformateurs qui aurait été arrêté : « Il y a un agent qui est passé pour un client, il devait le conduire et le déposer quelque part. Et il est parti pour toujours. Nous ne faisons que le chercher dans les brigades, mais nous n’avons pas retrouvé sa trace. Mais le fait qu’on l’ait conduit à une destination inconnue, ça laisse vraiment la famille dans l’inquiétude totale », raconte-t-il.
On ne sait pas encore jusqu’à quand les cellules fonctionneront ni si un rapport final sera produit. En tout cas, les professions libérales insistent sur leur caractère neutre et apolitique.