Anciens journalistes africanistes, Eric et Jeanne Makédonsky racontent dans un ouvrage riche en analyses et témoignages les dernières années de l’Afrique lusophone sous la houlette du Portugal fasciste et salazariste.
Le Portugal fut l’une des dernières puissances européennes à quitter le continent africain. Entre la fin des années cinquante jusqu’au début des années soixante, plusieurs colonies anglaises et françaises en Afrique ont accédé à l’indépendance. « Le vent du changement souffle sur tout le continent. Que cela nous plaise ou non, cette prise de conscience nationale est un fait politique que nous devons accepter comme tel et notre politique nationale doit en tenir compte », déclarait en février 1960 le Premier ministre britannique Harold Macmillan, résumant le processus de décolonisation en marche à l’époque. Mais le vent du changement tardera à souffler sur les colonies portugaises où il a fallu attendre le milieu des années soixante-dix pour que celles-ci goûtent à la liberté à leur tour au terme de quelques-unes des guerres de libération les plus sanglantes qu’a connues le continent africain.
Cette décolonisation tardive et chaotique des colonies portugaises a fait couler beaucoup d’encre au cours des quarante dernières années. La fin de l’empire colonial portugais : témoignages sur un dénouement tardif et tourmenté est un nouveau livre qui est venu s’ajouter à ce corpus, éclairant de l’intérieur à l’aide des témoignages des acteurs africains et portugais cette page pas comme les autres de la décolonisation africaine. Ces témoignages constituent la grande originalité de cet opus écrit à quatre mains par un couple de journalistes français qui ont vécu de près les heurs et malheurs de l’Afrique renaissante après de longs siècles d’esclavage et de colonisation.
Le rôle pionnier de la Guinée-Bissau
« Ces témoignages sur la lente décolonisation portugaise avaient, pour l’essentiel, été recueillis oralement à Lisbonne et en Afrique entre 1981 et 1982, période où nous quittions le continent après y avoir longtemps exercé comme journalistes », écrivent les auteurs de l’ouvrage, Eric et Jeanne Makédonsky. Eric Makédonsky fut l’ancien correspondant de l’Agence France-Presse à Dakar. Rejoint par sa future épouse Jeanne qui fut, elle aussi, journaliste (notamment pour RFI), il a couvert l’actualité ouest-africaine durant les décennies 1960-70. Proches du leader indépendantiste de la Guinée Bissau Amilcar Cabral qui avait fait de la Guinée-Conakry l’arrière-base de ses activités subversives contre l’occupant portugais de son pays, le couple a suivi de près les soubresauts que traversaient à l’époque les colonies lusophones en Afrique occidentale (Guinée-Bissau et Cap Vert). Le récit qu’ils font de ces événements dans leur ouvrage est basé sur leur intuition sur le rôle capital de la guerre de Guinée-Bissau dans la chute de l’empire colonial portugais.
« La prééminence de ce petit pays ouest-africain dans la lutte pour la libération des colonies portugaises en Afrique doit beaucoup à la personnalité d’Amilcar Cabral », confie Jeanne Makédonsky. Les témoignages des proches collaborateurs du leader assassiné en janvier 1973, quelques mois avant la proclamation de l’indépendance de la Guinée Bissau, confirment le rayonnement de cette personnalité d’exception : « Il était toujours en avance d’un temps, tandis que nous appliquions les décisions qu’avec lui nous venions de prendre, il était déjà en train d’en préparer de nouvelles et des plus innovantes ». Pour les deux auteurs, c’est cette faculté de prévision de Cabral, en plus de « son pouvoir de persuasion » et « sa pondération », qui a permis à son organisation, le Parti africain de l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) de poursuivre le combat après la disparition de son leader et voire remporter des victoires décisives contre les militaires portugais. Le tournant de la guerre sera atteint lorsque, dotés de missiles sol-air Strela, de fabrication soviétique, les combattants réussissent à abattre les avions de combat ennemis, avant de prendre d’assaut les camps des troupes portugaises à l’aide des blindés.
Huit mois après la mort de leur leader, en septembre 1973, l’Assemblée nationale populaire du pays réunie à l’initiative des successeurs du leader défunt fut en mesure de déclarer l’indépendance et la création de l’Etat souverain de la République de Guinée-Bissau. Reconnu immédiatement par 63 pays de la Communauté internationale, le nouvel Etat rentrera dans la foulée à l’ONU.
Un outil de travail précieux
C’est cette histoire de la libération de la Guinée-Bissau et comment elle a préparé le terrain pour la libération des autres colonies que raconte l’ouvrage du couple Makédonsky, en s’appuyant essentiellement sur les témoignages de leurs vingt-deux interlocuteurs. Ces derniers sont originaires de la Guinée-Bissau, du Cap Vert, mais aussi du Portugal où les auteurs étaient en poste au début des années 1980. Ils y ont pu recueillir les propos des responsables du nouveau régime portugais né du coup d’Etat du 25 avril 1974, qui a scellé la dernière étape du processus menant les colonies portugaises d’Afrique à l’indépendance totale.
Parions que pour les chercheurs, ces témoignages des personnalités historiques, tant du côté africain que du côté portugais, s’avéreront un outil de travail précieux pour la compréhension de l’évolution de l’Afrique contemporaine et du miracle de sa renaissance.
La fin de l’empire colonial portugais : témoignages sur un dénouement tardif et tourmenté, par Eric et Jeanne Makédonsky. Editions L’Harmattan, Paris, 2018, 478 pages, 39 euros.
rfi