Alors que l’affaire du trafic de visas et passeports diplomatiques impliquant des activistes et députés de la mouvance présidentielle n’a pas encore révélé tous ses secrets, des membres de la société civiles et des journalistes se prononcent sur les conséquences que cette histoire pourrait avoir sur l’avenir et la crédibilité de ces mouvements citoyens. Réactions croisées de Seydi Gassama, Directeur exécutif Amnesty international/Sénégal, Ibrahima Lissa Faye, président APPEL et Directeur de publication de Pressafrik et Babacar Ba, président du Forum du Justiciable.
SEYDI GASSAMA, DIRECTEUR EXECUTIF AMNESTY INTERNATIONAL/SENEGAL «La crédibilité de Y en a marre, en tant qu’organisation, n’est pas en cause aujourd’hui malgré que…»
«Mon point de vus dans cette affaire de trafics de visas qui concerne en l’occurrence des membres de Y en a marre qui constituait un mouvement de centaines de jeunes est que dans ce mouvement, vous avez des journalistes et toute sorte de profil, des rappeurs. C’est vrai que parmi les voix de ce mouvement, les gens du groupe ‘’Keur Gui’’ étaient les plus connus à savoir Thiat, Simon et Kilifeu. Mais le mouvement Y en a marre ne se limite pas uniquement à ces personnes citées. Vous avez Fadel Barro, Aliou Sané et tant d’autres personnes. Donc, il faut d’abord qu’on évite de réduire ces organisations-là à des personnes, avec des missions bien précises, organisées, puis qu’on substituts à toutes ces personnes. Voilà, donc je dis cela évidemment en respectant la présomption d’innocence de Kilifeu et Simon, qui sont présumés innocents, pour le moment, jusqu’à ce que la justice décide autrement. Alors, je dis quand-même que Y en a marre, ce n’est pas un petit mouvement, c’est un grand mouvement qui est structuré et présent dans tout le Sénégal. Pour ce, sa crédibilité, en tant qu’organisation, n’est pas en cause aujourd’hui malgré que certains individus de ce mouvement soient entre les mains de la justice pour trafics de visas et de passeports. Vraiment, je pense que, comme je l’ai dit, la crédibilité de ce mouvement n’est pas en jeu. Aujourd’hui, lorsque vous prenez la tête de Y en a marre, le patron de ce mouvement c’était Fadel Barro et quand il a quitté, il a laissé la tête de l’organisation à Aliou Sané. Donc aujourd’hui, je ne vois pas en quoi le message fondamental de Y en a marre va connaître des problèmes. Il y a toujours au sein de ce mouvement des gens crédibles, qui n’ont aucun problème avec la justice, les gens doivent pouvoir continuer à travailler sur des questions de citoyenneté. Par contre, on n’oublie souvent ces politiciens qui essayent aujourd’hui d’accabler le mouvement. Alors qu’ils oublient tous qu’ils ont encensés le mouvement Y en a marre entre 2011 et 2012, pour le combat que ce mouvement a mené en ligne de front de la lutte pour la consolidation de la démocratie dans ce pays. En plus de ça, le président.
de la République s’était rendu dans leur quartier général pour les encenser et leur demander un soutien qui lui a d’ailleurs même été accordé. De ce fait, on ne va pas oublier tous ces combats, ces victoires de ce mouvement parce qu’il y a quelques membres du groupe qui, aujourd’hui, ont affaire avec la justice. Je pense que tant les combats dans lesquels, Y en a marre est engagé, pour une résonnance et dans l’intérêt du peuple sénégalais sont là, ces derniers se lèveront pour mener le combat.
«LE SEUL ET UNIQUE RESPONSABLE DE CETTE SITUATION, C’EST L’ETAT DU SENEGAL»
Maintenant, tout tourne autour de la question du passeport diplomatique. Si on n’en est arrivé là, aujourd’hui, c’est la faute de l’Etat du Sénégal. Surtout avec l’avènement des libéraux au pouvoir, Macky Sall et Abdoulaye Wade, c’était une banalisation du passeport diplomatique. Le passeport sénégalais est un document officiel de l’Etat du Sénégal, c’est un document extrêmement important et qui est réservé uniquement aux plus hauts représentants de l’Etat. Seuls les plus hauts représentants de l’Etat ont droit de détenir un passeport diplomatique. C’est eux seuls, pas leur conjoint ni leurs épouses. Malheureusement, pour des raisons totalement clientélistes, pour satisfaire des élus, des officiels et des politiciens, on a décidé d’étendre le bénéfice de ce document aux épouses, à toute sorte de personne au sein de la société, à des gens qui ne sont même pas des diplomatiques ; qui ne sont même pas des officiels de l’Etat du Sénégal, de la société civile, des religieux, des personnes inconnues ont eu accès à ce document-là. C’est cela qui a ouvert la porte aujourd’hui à cette situation de fraude ou de trafics de visas et de passeports. Donc le seul et unique responsable de cette situation, c’est l’Etat du Sénégal. Alors, il convient de changer les choses radicalement, faire en sorte qu’aujourd’hui le bénéfice de passeport diplomatique soit limité uniquement aux représentants de l’Etat, les gens qui voyagent pour représenter l’Etat. Et quand un député ou un ministre veut voyager avec sa femme, qu’elle aille demander un visa dans une ambassade.
IBRAHIMA LISSA FAYE, PRESIDENT APPEL «Quand on est activiste …, je pense qu’il faut couvrir ses arrières…»
«Il faut reconnaitre que cela va entamer une réputation et les gens vont croire et dire effectivement que c’est des Sénégalais comme tout le monde, corrompus et cupides, qui sont à la recherche de gain facile. C’est très clair. Mais, d’autre part, il y a aussi certains sénégalais qui pensent que, quelque part, c’est aussi un complot qui est ourdi contre ces activistes pour les attraper. Effectivement, il y a aussi des gens qui ont été ou qui sont trempés dans des histoires comme ça qui n’ont pas été inquiétés, pour qui, au final, il y a eu une médiation pénale et qui sont tirés d’affaire. Donc si aujourd’hui, ces activistes-là sont inculpés et placés sous mandat de dépôt c’est parce qu’il y a eu des charges qui pèsent sur eux et qui quand-même peuvent être irréfutables. Maintenant, quand on est activiste et quand on est dans l’opposition, je pense qu’il faut couvrir ses arrières et savoir que la moindre erreur ne vous sera pas pardonnée. Et ils le leur ont rappelé à leur dépend. Et puis des histoires comme ça, c’est à éviter. Quel que soit ce que les gens peuvent penser, «c’est un complot ou bien des gens ont tout fait pour les faire tomber», mais l’essentiel c’est qu’ils ne ils ne pouvaient se mettre dans des histoires aussi visibles que celle de trafics de visas ou chercher des passeports diplomatiques pour des gens. Il faut savoir que personne n’est blanc comme neige, mais ce qu’il faut, c’est faire attention et surtout quand on est journaliste, activiste ou influenceur. La raison, parce qu’aucune erreur ne vous sera pardonnée de la part du pouvoir ou des autorités judiciaires. Il faut savoir que c’est des délits du droit commun et donc cela incombe aux gens qui sont arrêtés. Donc, les faits leur sont imputables (à titre individuel, ndlr), mais pas totalement au mouvement. Déjà les appels à la manifestation qui sont lancés par les mouvements, l’Etat aurait du laisser ces manifestations avoir lieu. Comme ça, on aura l’occasion au moins de jauger, de savoir si effectivement l’arrestation de Kilifeu et de Simon va faire désembuer ou impacter un peu le mouvement Y en a marre, FRAPP/France Dégage et les autres. En fait, ce sera l’occasion de mesurer si effectivement il y a eu impact ou pas. Parce que leur arrestation intervient au moment où on parle de la cherté de la vie, où il y a des manifestations qui sont prévues alors que le mouvement Y en a marre est impliqué. Donc, l’Etat devrait les laisser (manifester) et puis là, les gens sauront si effectivement ces mouvements restent populaires. Et si effectivement, Kilifeu, Simon ou les membres de Y en a marre ont un poids lourd dans cela. Je pense que c’est une affaire qui concerne toute la population et qu’en fait ce n’est pas seulement les deux personnes arrêtées qui pourraient mobiliser. Et donc les gens pourraient se mobiliser, c’est la raison pour laquelle l’Etat ne veut pas prendre le risque de laisser les gens sortir. Mais, au moins, on n’aurait pu laisser passer et voir ce qu’ils seront demain».
BABACAR BA, PRESIDENT FORUM DU JUSTICIABLE «Cela peut même amener les populations à ne plus avoir confiance, en tout cas, à ces acteurs de la société civile»
«Je voudrais préciser d’emblée qu’il faut aujourd’hui que les gens comprennent véritablement ce qui est le rôle d’un acteur de la société civile ou bien activiste. Parce que ces acteurs ont un rôle de sentinelle à jouer. C’est des personnes qui alertent, qui parfois dénoncent certaines pratiques qui sont jugées ne pas être normales. Aujourd’hui, notre rôle, c’est d’être le trait d’union entre les pouvoirs politiques et la population. En quelque sorte, ce sont les acteurs de la société qui aujourd’hui porte la voix des populations, les différentes recommandations de ces gens-là. Donc, nous jouons un rôle de sentinelle, c’est à nous de recadrer les hommes politiques aussi bien ceux qui sont dans l’opposition et au niveau du pouvoir. Je pense qu’à partir de ce moment, nous avons une lourde responsabilité. Alors, si aujourd’hui c’est à nous de dénoncer certaines pratiques que font les politiques, je pense également que les acteurs de la société civile et les activistes doivent avoir un comportement qui est exemplaire. Cependant, si aujourd’hui on n’arrive à citer des acteurs de la société civile ou des activistes dans des affaires de trafics de visas et des passeports, cela quand même peut décrédibiliser en quelque sorte le combat. Et cela peut même amener les populations à ne plus avoir confiance, en tout cas, à ces acteurs de la société civile. De ce fait, quand vous dénoncez certaines pratiques, il faudrait que également que, nous acteurs de la société civile, nous ayons un comportement exemplaire. C’està-dire qu’on soit exempt de reproches, en quelque sorte. Alors, je pense que si nous n’avons ce comportement et qu’aujourd’hui les acteurs de la société ou des activistes sont cités, malgré le fait que jusqu’à présent ils gardent la présomption d’innocence, dans des histoires de trafics de visas, il faut reconnaitre que cela peut effectivement décrédibiliser le combat. Et je pense que c’est quelque chose qui est vraiment regrettable. Si aujourd’hui, on continue de citer les acteurs de la société civile ou des activistes dans des histoires de trafics des visas mais cela peut créer le doute chez des populations à ne plus avoir confiance à ces porteurs de voix, à ne plus croire à ces acteurs de la société civile et des activistes. Et cela, certainement, peut se répercuter sur cette capacité de mobiliser. Si aujourd’hui, les acteurs de la société civile arrivent à mobiliser, c’est parce qu’ils bénéficient de la confiance de la population. Donc, maintenant, si aujourd’hui la population ne vous fait plus confiance parce que vous êtes cités dans des affaires de trafics de visas ou passeports, en quelque sorte cela peut impacter sur la capacité de mobiliser de ces acteurs et activistes.».
SudQuotidien