Zoom sur l’agriculture (2/2) : Comment le secteur agricole peut vaincre le chômage et doper la croissance

Zoom sur l'agriculture (2/2) : Comment le secteur agricole peut vaincre le chômage et doper la croissance

L’agriculture sénégalaise enregistre depuis près d’une dizaine d’années des performances record. L’autosuffisance alimentaire est à portée de main. Et si les contraintes qui gênent l’optimisation de son potentiel sont levées, le secteur peut faire reculer le chômage et doper la croissance.

Selon les experts de la FAO, les choix politiques peuvent stimuler jusqu’à 20% les performances agricoles. D’où la pertinence de l’option qui fait de l’agriculture le moteur du Plan Sénégal Émergent (PSE), référentiel de la politique économique et sociale nationale sur le moyen et le long terme. Depuis 2013, le Sénégal s’est inscrit dans une dynamique de transformation structurelle du secteur agricole. Celle-ci s’est traduite, par l’augmentation du budget du ministère de l’Agriculture, le relèvement du niveau et de la qualité des subventions, la diversification des filières, la reconstitution du capital semencier, la mécanisation, une bonne politique de prix au producteur, un meilleur encadrement des paysans, etc. La conséquence de tout cela s’est traduite par des récoltes qui explosent depuis sept ans et des acteurs agricoles plus motivés. Pour le riz, l’arachide, les produits horticoles, les céréales, le Sénégal est près d’atteindre l’autosuffisance et la contribution de l’agriculture au PIB est passée de 7% avant 2012 à 12% aujourd’hui. Mais au vu de son potentiel, le secteur peut davantage servir l’économie nationale.

De nombreux spécialistes le disent, au regard de son potentiel, le Sénégal peut fait mieux dans le domaine agricole. La qualité de son capital humain, les sols fertiles, l’ensoleillement et les disponibilités en eau (4 milliards m3 d’eau douce en surface et sous-terraine)…, constituent autant d’atouts qui font dire à Youssoupha Diallo, que « notre pays peut devenir sous peu une puissance agricole en Afrique de l’Ouest ». « Pour y arriver la politique agricole de l’État doit de plus en plus consister à travailler à lever les contraintes au développement agricole », suggère dans un entretien avec SeneWeb le président du Conseil d’administration (PCA) de la Sonacos, ancien conseiller technique numéro 1 du ministre de l’Agriculture et président du Club Sénégal émergent (CSE), un think tank qui regroupe des cadres de l’administration publique, du secteur privé et de la société civile œuvrant à l’atteinte des objectifs du PSE.

Eau, productivité, mécanisation, foncier…
Ces contraintes sont de plusieurs ordres selon Youssoupha Diallo : « La première c’est l’eau : il faudra une politique de maitrise plus importante de l’eau. Les cultures irriguées ont connu entre 2012 et nos jours une progression importante, mais l’agriculture sénégalaise reste dépendante de la pluviométrie. L’autre aspect c’est l’intensification agricole, qui consiste à l’accroissement des rendements et, surtout à l’accroissement de la productivité agricole. La population rurale a fortement augmenté alors que les terres ne sont pas extensibles à l’infini. Le troisième point c’est la mécanisation et l’utilisation massive de l’engrais. Il y a aussi l’amélioration de la qualité des semences. »

Le PCA de la Sonacos a en outre insisté sur le parachèvement de la réforme du foncier rural. Sur ce plan, il a dégagé deux pistes : « d’une part, la sécurisation du foncier rural pour les exploitations familiales et les communautés de base et, d’autre part, la création d’espaces attractifs et pertinents dédiées à l’agro-business national et étranger ». Il plaide également pour « une meilleure incitation à l’investissement rural par la mise en place d’une assurance agricole plus forte et aussi le renforcement des mécanismes et dispositifs d’intervention contre les sinistres, calamités, catastrophes naturelles et autres ». Et rappelle « la nécessité de rendre les marchés agricoles beaucoup plus attrayants et beaucoup mieux structurés pour que les gens soient enclins à produire ». « Depuis qu’il y a une forte demande d’arachides à l’exportation, avec le relèvement des prix, on a vu que chaque année les niveaux de production ont augmenté », souligne le président du CSE.

Industrialisation et transformation
Il faudra aller plus loin dans l’optimisation du potentiel du secteur agricole. L’ancien conseiller technique numéro 1 au ministre de l’Agriculture fixe le cap : « Le gouvernement travaille à l’avènement de productions beaucoup plus importantes, mais il a aussi prévu des passerelles pour favoriser et accélérer le processus de transformation. Transformée à l’intérieur du Sénégal, cette production est, en effet direct, multipliée au moins par trois. C’est la même chose dans les autres spéculations : horticulture, céréales, riziculture… »

Yousoupha Diallo ajoute : « Si vous ne transformez pas, chaque fois que vous exportez une tonne d’arachide, une tonne de céréales ou autres, vous exportez en même temps une bonne part de votre valeur ajoutée, donc une bonne part de vos emplois, de vos revenus, de vos impôts, de vos richesses. Si les productions rurales avaient été optimisées dans le sens de la transformation et de la valorisation, d’autres emplois, à partir d’autres métiers, seraient créés. Il ne faut pas oublier que 80% de la valeur ajoutée agricole est réalisée après la récolte. Et le PIB c’est la somme des valeurs ajoutées. Donc, le point de départ pour régler le problème de la pauvreté, le problème du chômage, le problème du sous-emploi, etc., c’est d’abord l’agriculture. »

Accélérer la cadence
Le président du CSE recommande d' »aller plus vite dans la mise en place d’une véritable politique de développement des chaînes de valeur ». Car, signale-t-il, « les impacts positifs des productions record enregistrées, par rapport au revenu par tête, par rapport à l’emploi, par rapport à l’exode rural, n’ont pas atteint les niveaux attendus ». D’autant que, regrette-t-il, « en dépit des productions records, on a remarqué que l’emploi et les revenus ruraux n’ont pas été optimisés, l’exode rural est de plus en plus fort, cela signifie que dans les campagnes l’on n’a pas créé plus d’emplois décents et on n’a pas généré plus de revenus ».

Youssoupha Diallo se dit « optimiste » : « Le Président Macky Sall a déjà bien fait pour l’agriculture et il est en train de mieux faire. Il a eu une très bonne approche en disant que pour aller vers l’industrialisation et la transformation, il faut atteindre une masse critique de production. Dans la plupart des filières, l’arachide, les céréales, l’horticulture, le riz, le Sénégal cet objectif a été atteint. Nous sommes à des niveaux de production record. Maintenant dans le cadre du PAP2A (Plan d’action prioritaire ajusté et accéléré, Ndlr), la politique d’industrialisation et de transformation du Produire et du Consommer sénégalais a été placée au cœur des politiques avec, particulièrement les agropoles, qui sont en train d’être mis en place (Sud, Centre, Nord) pour la valorisation et la transformation des productions agricoles. »

Malgré les contestations, le Sénégal semble être sur la bonne voie. De nombreux économistes et experts agricoles lui recommandent de garder le cap et hâter le pas vers des réformes plus poussées afin de coller au Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (PRACAS), le volet agricole du PSE.