Ce lundi 13 août, l’ancienne présidente argentine Cristina Kirchner doit comparaître devant le juge dans une affaire désormais baptisée « les cahiers de la corruption ». Un scandale qui fait littéralement trembler la classe politique argentine et le secteur de l’entreprenariat. Il s’agit d’une affaire de pots-de-vin lors d’attributions de marchés publiques qui s’est étendue pendant dix années de présidence du couple Kirchner, au pouvoir entre 2003 et 2015. Nestor étant mort, c’est Cristina qui va devoir faire face à la justice. RFI a pu interviewer celui qui est à l’origine de cette histoire: Diego Cabot, un journaliste d’investigation d’un des plus importants quotidiens du pays, La Nación.
RFI : Comment tout a commencé ?
Diego Cabot : Ça fait de nombreuses années que je mène des enquêtes dans le domaine des contrats publics, c’est-à-dire les entreprises qui travaillent dans le secteur des travaux publics. J’ai déjà écrit trois livres avec un collègue qui est également un ami. Donc c’est un sujet que je connais bien.
Et au début de l’année, le 8 janvier, j’ai reçu des cahiers d’un chauffeur qui a travaillé pendant dix ans pour un fonctionnaire qui était chargé de récupérer de l’argent sale, des pots-de-vin de ces très grosses entreprises du BTP, pour les remettre aux plus hautes sphères du pouvoir. J’ai ensuite travaillé pendant des mois sur ces cahiers et au bout d’un moment je me suis dit que ces cahiers étaient le compte rendu le plus réaliste de cette manière illégale d’agir du gouvernement. Et comme les noms de plusieurs entrepreneurs figuraient sur ces pages, je me suis dit que cette affaire devait avoir des conséquences.
Du coup j’ai décidé d’aller parler à un procureur avec qui j’ai travaillé de manière très discrète pendant trois mois. On a récupéré des preuves afin que le jour où sortirait cette affaire tout ça soit crédible. Parce que sinon cela n’aurait fait l’objet que d’un article de presse. Donc on a travaillé avec ce procureur et un juge et finalement, lorsque cette affaire a été rendue publique, on avait tellement de preuves que cela a provoqué les repentances de nombreux entrepreneurs et anciens fonctionnaires, qui se sont déclarés coupables de délits.
Cette affaire est énorme. Peut-elle conduire l’ancienne présidente Cristina Kirchner, en prison?
Oui parce que la justice argentine considère ces faits comme de l’association de malfaiteurs. Et après enquête, la justice estime que Cristina Kirchner et son mari Nestor – qui est décédé en 2010 – étaient les chefs de cette association de malfaiteurs. Jeudi dernier, pour la première fois dans l’histoire du pays, un fonctionnaire, l’ancien chef de cabinet de Cristina Kirchner, c’est-à-dire la personne la plus importante dans son entourage lorsqu’elle était au pouvoir, a déclaré qu’effectivement, arrivaient des sacs d’argent, des sacs remplis de dollars au siège de l’exécutif argentin. Donc oui, cette affaire peut sans doute conduire Cristina Kirchner derrière les barreaux, puisque comme je le disais avant : la justice la considère comme la responsable de cette association de malfaiteurs.
Lorsque vous parlez de sommes d’argent… quelles sont les sommes qui ont ainsi transité pendant dix ans ?
Si l’on s’en tient aux notes dans ces cahiers, il s’agit de près de 160 millions de dollars. Mais ça, ce ne sont que les sommes qui apparaissent dans ce schéma de redistribution qui n’est certainement pas le seul. Les entrepreneurs cités dans cette affaire disent que ces sommes ne correspondent pas à la réalité, qu’il s’agit de bien moins. Une manière pour eux de tenter d’esquiver d’autres enquêtes pour blanchiment d’argent. Mais la justice ne les croit pas.
Alors désormais la justice a entre ses mains toutes les preuves, elle est en train d’agir, d’interroger toutes les personnes impliquées. Vous de votre côté, depuis que cette affaire a été rendue publique, est-ce que vous avez été victime de pressions ?
Non… J’avais déjà anticipé ce qui pouvait se passer, quand toute cette histoire a débuté. Comme je vous le disais, j’ai été voir la justice, c’était au mois d’avril dernier. Et depuis on a travaillé sur cette affaire. A un moment donné oui, j’ai eu un peu peur. Mais pour dire la vérité, si l’on voulait que cela aboutisse, il fallait rester silencieux. Il fallait faire preuve de prudence, donc quasiment personne n’était au courant: deux ou trois personnes dans mon journal, un procureur, un juge et leurs deux collaborateurs. On a travaillé de manière très discrète ce qui nous a permis comme je le disais de récupérer des preuves. A cette époque il n’y avait aucune pression puisque personne n’était au courant.
Depuis que l’affaire a été rendue publique, le procureur m’a prévenu : s’il y a d’autres choses qui sortent, on va se faire tuer. Parce qu’en Argentine on peut vous tuer pour ce genre de chose. Mais depuis que cette affaire est dans la presse cela a généré tellement de remous que, pour être honnête, personne ne parle vraiment de moi, si ce n’est qu’à travers des insultes. Ce à quoi je m’attendais d’ailleurs étant donné la fracture qui existe dans l’opinion publique dès qu’il s’agit de politique. Il y a une partie de l’opinion qui ne répond que par des insultes et quelques menaces. Mais bon, ce sont des choses qu’on avait déjà anticipées.