Emmanuel Macron : «Je n’ai pas l’esprit de défaite»

Plus engagé que jamais dans la campagne européenne, le chef de l’Etat a répondu, ce lundi à l’Elysée, aux questions d’un panel de journalistes, dont ceux du Parisien – Aujourd’hui en France.

« Heureux ! » Ainsi le président se dépeint-il ce lundi après-midi, lorsqu’il pénètre dans le Salon des aides de camp de l’Elysée, pour accorder une interview à la presse quotidienne régionale (PQR). Heureux comme Emmanuel Macron à l’Elysée… Surprenant, au regard des tempêtes essuyées ces derniers mois, avec en point de césure de son quinquennat le mouvement des Gilets jaunes.

Et considérant les sondages, qui donnent la liste Renaissance, emmenée dans la douleur par Nathalie Loiseau, au coude-à-coude avec le Rassemblement national de Marine Le Pen. « Heureux », donc. Peut-être. Prêt à en découdre, à mettre tout son poids dans la dernière ligne droite, assurément. Il n’est qu’à voir ses poings taper la table, à mesure qu’il martèle ses arguments.

Le chef de l’Etat joue cette semaine une manche cruciale pour la suite de son quinquennat. La façon dont il s’engage personnellement dans cette fin de campagne parle de soi. Comme elle souligne, en creux, que ses troupes ne sont pas tout à fait armées pour la bataille. « Je ne peux pas être un spectateur, mais un acteur de cette élection européenne », dit-il. Les polémiques, il les balaie. Tel est son rôle, juge-t-il. Au point d’estimer : « La France sera d’autant plus forte que nous ferons un bon score. » Tout son poids, donc.

Lors de cet entretien, il voulait « parler concret », démontrer que cette Europe parfois honnie « ce n’est pas simplement des jeux politiques ou une abstraction », qu’elle se trouve « au cœur de nos vies ». Convaincre, aussi, les électeurs de ne pas bouder les urnes. L’abstention menace et, estime-t-il, « cela devrait tous nous désespérer ».

Se sent-il une part de responsabilité dans ce désamour ? « J’ai le sentiment, moi, de mettre le maximum d’engagement et le maximum d’enthousiasme », conclut-il. Un pari. Car Emmanuel Macron lie plus que jamais son destin à celui de l’Union. Et à celui de la liste LREM, dont le résultat, dimanche, sera de facto aussi le sien.

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Emmanuel Macron a accordé un long entretien aux journalistes de la presse quotidienne régionale. LP/Olivier CorsanPourquoi vous sentez-vous obligé de monter au créneau dans cette campagne ? Il y a alerte rouge ? La faute à vos candidats ?

EMMANUEL MACRON. Le projet de transformation profonde que je mène pour le pays ne va pas sans une nouvelle étape du projet européen. Les Français m’ont élu pour cela. Je ne peux donc pas être un spectateur, mais un acteur de cette élection européenne qui est la plus importante depuis 1979 parce que l’Union est face à un risque existentiel. Si, en tant que chef de l’Etat, je laisse se disloquer l’Europe qui a construit la paix, qui a apporté de la prospérité, j’aurai une responsabilité devant l’Histoire. Le président français n’est pas un chef de parti mais il est normal qu’il s’implique dans des choix fondamentaux.

Ne craignez-vous pas que ce vote se transforme en référendum contre vous ?

Je constate que toutes les autres listes en font un référendum contre le président de la République et le gouvernement. Il ne s’agirait pas que je sois le seul à ne pas pouvoir prendre la parole. Quand je regarde les choses, le chômage est au plus bas depuis dix ans, le pouvoir d’achat n’a jamais augmenté de cette manière depuis douze ans, l’investissement productif repart, les emplois industriels sont recréés… Il n’y a pas à rougir de notre bilan, même s’il faut aller plus loin La question de ces élections européennes est simple : voulons-nous la division face aux Etats-Unis et à la Chine ou préférons-nous l’unité pour bâtir notre avenir européen ?

L’abstention pourrait battre des records dimanche. Si tel est le cas, est-ce que ce sera un échec personnel pour vous ?

Quand il y a de l’abstention, c’est un échec pour la démocratie. Il y a un paradoxe : on a passé des mois à dire qu’il fallait redonner de la vigueur à notre démocratie et l’on considérerait qu’il n’est pas important d’aller voter ? Décider de ne pas aller voter, c’est décider de donner sa voix à ceux qui ne veulent que détruire. C’est ce qui s’est passé il y a trois ans avec les Britanniques pour le Brexit. Pour exprimer son choix quel qu’il soit, c’est le 26 mai ou jamais !

Si la liste Renaissance arrive derrière le RN, quelles conséquences cela aura sur la politique française ?

Je ne me pose pas dans un tel cas de figure. Nous nous sommes assoupis, comme si l’on n’avait pas réalisé qu’il y a cinq ans le parti qui avait remporté les élections européennes, c’était le Front national. Est-ce qu’ils ont réussi au niveau européen ? Ils ont voté contre tout ce qui est dans l’intérêt de la France. Leur projet affaiblit la France et divise l’Europe.

Pourrez-vous être moteur, réformateur, si vous n’arrivez pas premier en France ?

Je n’ai pas l’esprit de défaite, j’ai l’esprit de conquête. La France sera d’autant plus forte que nous ferons un bon score.

Donc, vous ne nous direz pas si cela vous conduirait à changer de Premier ministre…

Absolument pas. Je n’ai jamais fait de politique-fiction. J’ai toute confiance en Edouard Philippe qui s’engage sans compter auprès des proeuropéens.

Quel doit être le premier chantier d’urgence auquel devra s’atteler le nouveau Parlement ?

Je veux une Convention fondatrice européenne après les élections. Que les chefs d’Etats et de gouvernement, avec le nouvel exécutif et les responsables du Parlement, avec les citoyens, prennent le temps de définir la stratégie de l’Europe pour les cinq années à venir, y compris les changements de traités sur lesquels ils veulent aboutir.

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Emmanuel Macron souhaite être un « acteur de cette élection européenne ». LP/Olivier CorsanVous êtes favorable à l’introduction de quotas pour l’immigration en France. L’êtes-vous à l’échelle européenne ?

On parle d’immigration légale, économique ou étudiante. Je suis prêt à ouvrir ce débat comme je l’ai dit. En revanche, on ne peut pas en instaurer sur le droit d’asile. C’est pour cela que je veux refonder Schengen, y compris jusqu’au changement des traités si besoin. On ne protège pas suffisamment nos frontières communes. Il n’y a plus de solidarité et trop de différences entre nos droits d’asile. Je veux refonder complètement Schengen, avec un espace plus petit si besoin, une meilleure protection des frontières communes, une harmonisation des droits d’asile et un pilotage par un conseil des ministres de l’Intérieur.

Les convergences sont difficiles sur le glyphosate, le carbone ou encore le charbon. Comment avancer sur les questions écologiques ?

Notre jeunesse européenne a une conscience aiguë de ces sujets. Elle a décidé de s’exprimer et bouscule ses gouvernements, et c’est une chance. J’ai moi-même beaucoup progressé sur ces sujets ces derniers mois en l’écoutant. L’histoire nous jugera sur ce sujet. Je voudrais que l’on avance sur la taxation commune du kérosène en Europe et que l’on ait une vraie négociation internationale. Je veux aussi que l’on aille plus vite et plus fort, notamment sur les financements européens, d’où l’idée de la Banque européenne du climat. Enfin, il faut taxer en Europe les entreprises les plus polluantes et mettre une taxe carbone aux frontières.

Face à la réforme annoncée de la politique agricole commune, les agriculteurs ont-ils raison de s’inquiéter ?

Nous avons besoin de la PAC, qui assure aujourd’hui le revenu de nos agriculteurs. Je ne veux pas que le Brexit conduise à réduire les ambitions du modèle agricole européen. C’est un engagement que j’ai pris vis-à-vis de nos agriculteurs. Je veux une souveraineté alimentaire européenne. Nos agriculteurs ont raison de pas être d’accord avec le projet de réforme qui a été mis sur table, et auquel je suis fermement opposé. Ils peuvent compter sur mon soutien, mais il ne faut pas se tromper : plus nous aurons des partis qui défendent un projet européen fort, plus nous aurons une politique commune ambitieuse. Les nationalistes, qui défendent la renationalisation de l’agriculture, sont contre la PAC. Renationaliser notre politique agricole serait une erreur profonde pour nos agriculteurs.

Vous êtes en désaccord avec les Allemands sur de nombreux sujets… La mécanique est-elle grippée ?

Je ne pense pas qu’elle soit grippée, je pense qu’elle s’est rééquilibrée. Nous faisons entendre notre voix. Avec le discours de la Sorbonne, nous avons eu de vrais résultats. Sur le budget de la zone euro, la défense, le droit d’auteur, la protection d’intérêts européens face aux grandes puissances, les travailleurs détachés… Les Allemands ont accepté de vrais compromis. Nous devons bâtir l’acte II de ce projet. Et ce nouvel acte doit être marqué par l’ambition et la cohérence. A ce titre, la position française rejetant de construire un nouvel accord commercial avec les Etats-Unis est essentielle. On ne peut pas imposer des règles plus dures à nos industriels tout en négociant un accord avec les États-Unis qui ont décidé de ne plus respecter l’accord de Paris. Ce serait faciliter l’importation de biens industriels produits dans des conditions ne respectant pas ce que nous imposons à nos entreprises. C’est déloyal.

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« Les nationalistes, qui veulent la diviser, sont ses premiers ennemis de l’Europe » confie le président. LP/Olivier CorsanMais ces désaccords entre Français et Allemands ont rarement été aussi forts…

Vous avez oublié ce qu’étaient les grands temps du projet franco-allemand. De Gaulle- Adenauer, Mitterrand-Kohl, Schrœder-Chirac : ces trois grands tandems ont eu de vrais désaccords, qui ont permis de vraies avancées. Avec Angela Merkel, nous nous respectons et nous travaillons très bien ensemble, mais je ne crois pas à l’entente feinte et stérile, qu’il faille gommer les différences quand elles existent. Si on ne dit pas les choses, on ne peut pas progresser. Mais on ne peut pas faire progresser l’Europe sur un désaccord franco-allemand.

Mais avec qui allez-vous pouvoir faire alliance pour peser ?

Je ne sais pas dire demain ce que sera l’état des forces politiques sur le plan européen. Il y aura sans doute des forces d’extrême droite qui seront à un niveau non négligeable mais divisées. Mon ambition, c’est que nous puissions être au cœur d’une nouvelle coalition de progrès et d’avenir. L’Europe peut s’offrir tous les luxes, sauf celui de la paralysie. Soit nous voulons nous diviser et nous devenons le théâtre de jeux d’influence extérieurs, chinois russes, américains, soit on décide de se ressaisir et d’être souverainement nous-mêmes. Il faut être unis car c’est l’union qui fait la force.

Quels postes la France doit-elle obtenir au sein des institutions pour espérer peser ?

Je ne raisonne pas de cette manière. Je souhaite d’abord que l’on ait des dirigeants aux postes clés qui soient forts et compétents. On a trop souvent fait des compromis pour choisir les dirigeants qui feraient le moins d’ombre autour de la table. Je ferai tout pour avoir le maximum de personnes qui partagent la vision que j’évoque. Cela ne s’arrête pas à des questions de nationalité.

Qui est le plus grand ennemi de l’Europe ? Trump, Poutine, ou les Européens eux-mêmes ?

Est ennemi de l’Europe celui qui ne croit pas en son avenir. Les nationalistes, qui veulent la diviser, sont ses premiers ennemis. Je suis un patriote français donc européen. Et je vois pour la première fois une connivence entre les nationalistes et des intérêts étrangers, dont l’objectif est le démantèlement de l’Europe. Des lobbyistes comme M. Bannon, proches du pouvoir américain, le disent. Les Russes et quelques autres n’ont jamais été à ce point intrusifs pour financer, aider les partis extrêmes. On ne peut être que troublé. Il ne faut pas être naïf. Mais je ne confonds pas les Etats et certains individus, même si les groupes d’influence américains ou les oligarques russes affichent des proximités avec les gouvernements.

Vous avez récemment évoqué l’art d’être Français. Y a-t-il un art d’être Européen ?

Il y a un art d’être Européen, complètement. Umberto Eco disait : « La langue de l’Europe est la traduction. » L’art d’être Européen, c’est d’abord l’art de s’entendre dans nos différences. Nous ne sommes pas un continent d’homogénéité. Les langues européennes sont des harmoniques, avec, aussi, des intraduisibles. Ce qui veut dire qu’il y a toujours des malentendus. On l’a souvent dit avec la Chancelière en s’amusant : le mot dette, en Allemand, a une connotation morale négative qu’il n’a pas en Français. Et puis, il y a George Steiner, qui parlait de l’Europe des cafés. C’est un art de vivre, l’Europe. Allez dans n’importe quelle rue de Naples, à Gdansk, à Cracovie ou à Marseille, il y a cette manière d’être unique, cette sociabilité, ce rapport à la place publique, à la discussion, au débat, qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde.

Vue des territoires, l’Europe est parfois perçue comme une machine à exiger des réformes et des économies pour parvenir au fameux 3 % de déficit…

Ce n’est pas vrai. L’Europe est le cache-sexe de la lâcheté des dirigeants nationaux ou parfois locaux. La réforme de la SNCF n’est pas dictée par l’Union européenne, l’Europe n’exige aucune réduction de service public. L’Europe n’est pas l’ennemie des territoires, au contraire, elle fait partie de nos vies.

Vous confirmez l’abandon de la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires ?

Je ne veux pas être l’otage d’objectifs comptables sur ce point. Ma priorité, c’est de faire des économies, de réduire la dépense publique et de baisser les impôts des Français. Il y aura des suppressions de postes. Mais ces dernières années, on a réduit la présence des services publics dans les territoires. C’était une erreur. On va remettre des fonctionnaires sur le terrain en réduisant leur nombre à Paris et dans certaines capitales régionales. Cette politique est totalement compatible avec la règle des 3 %.

 

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